À la recherche de Garbo tient essentiellement à trois éléments il me semble : le personnage de la mère interprétée par Anne Bancroft, le personnage du fils interprété par Ron Silver, et une des dernières péripéties mettant en scène la fameuse rencontre que l'on attendra pendant la quasi-totalité de l'intrigue. Le reste n'est qu'habillage formel propre à la décennie (80s, autant dire que ça pique parfois les yeux) et circonvolutions diverses plus ou moins adroites.
L'envie est forte de mettre de côté Ron Silver, l'acteur qui joue le rôle du fils : Sidney Lumet (et surtout son scénariste) a la main lourde pour composer son portrait, antithèse de sa mère, un employé de bureau passif et corvéable qui ne se risquerait à aucun moment à froisser sa direction. Pataud, naïf, bon, c'est en quelque sorte le substrat du discours sur lequel germeront les enseignements — sa trajectoire est à ce titre on ne peut plus explicite, puisque la mission qui lui sera confiée guidera très scolairement son émancipation pour sortir de sa tutelle professionnelle et de son carcan marital (ça sent le roussi avec sa femme aka princesse Carrie Fisher). Pas l'aspect le plus funky ou émouvant du film, donc.
En revanche, le personnage de la mère est passionnant à plus d'un titre, et c'est à mettre au crédit de l'interprétation d'Anne Bancroft qui parvient à donner vie à une femme complexe, plurielle, parfois agaçante dans son attitude un peu condescendante, mais en tous cas typique du cinéma estampillé "humaniste" de Lumet. Difficile de préciser ce qui a pu susciter autant d'émotions, avec pour apogée la rencontre finale à l'hôpital, tournée comme un échange unilatéral (une personne ne fait que parler, l'autre qu'écouter, en contraste ironique avec le titre original Garbo Talks) en un plan-séquence lentement zoomé vers le visage de Bancroft. Cette histoire de révélation médicale avec une tumeur au cerveau (pas de spoil, on l'apprend assez tôt dans le film) aurait pu être le centre névralgique d'un pathos désagréable, mais tout est fait pour ne pas déborder au-delà de l'objectif fixé par cet élément de scénario : lancer le fils à la recherche de l'actrice tant adorée, maintenant que la mère ne peut plus passer ses nuits en garde à vue et défendre ardemment diverses causes sociales.
C'est une expérience un peu particulière de regarder Garbo Talks aujourd'hui : à l'époque du film, les deux actrices étaient vivantes, l'une mourante, l'autre vieillissante. Greta Garbo s'était retirée du cinéma et de la vie publique depuis 1941 et jusqu'à sa mort qui devait survenir en 1990, à New York, 6 ans après la sortie du film. Anne Bancroft, elle, décèdera 15 ans plus tard en 2005. Il n'y a plus en 2024 la même urgence vitale qu'il y a 40 ans, mais cela n'empêche pas le film de se charger d'une vraie puissance mélancolique, accentuée par divers facteurs — la transmission entre mère et fils déclenchée par cette recherche soudaine, l'hommage cinéphile rendu par Lumet via le personnage de cette femme qui semblait ne vivre qu'à travers un filtre cinématographique, les différents rôles secondaires émouvants qui expriment une certaine forme de tendresse teintée de lassitude... En tous cas, la complicité ponctuelle tissée à la toute fin, sur fond de mondes en cours de disparition (celui de Garbo, celui de Bancroft) et d'imaginaires cultivés par les souvenirs de cinéma, conserve une part d'éloquence poignante.
https://www.je-mattarde.com/index.php?post/A-la-recherche-de-Garbo-de-Sidney-Lumet-1984