Adam, formidablement interprété par un Sammy Davis Jr au sommet de son art, est une âme à bout de souffle, à tel point qu'il lui devient de plus en plus difficile de jouer de son saxo. Le jazz, sa passion pour le jazz, c'est ce qui le maintient encore en vie, mais pour combien de temps encore ?


A man called Adam, c'est l'itinéraire d'une âme en souffrance, ici en fin de course. On explore la douleur d'un être, sublimée par le jazz, qui ne pouvait être un meilleur cadre pour mettre en scène cette déchéance, ce désespoir visiblement inextricable. Il s'en veut de la mort d'un proche, causé par un accident de voiture que son alcoolisme a malheureusement provoqué. Il pratique le jazz avec génie, il le sait, mais il n'y trouvera aucune rédemption, aucun remède, aucun échappatoire. La puissance et la beauté de cette musique ne seront pas suffisantes pour le sauver. Cette douleur est impeccablement transcendée par la puissance de jeu, le charisme et le charme de Sammy Davis Jr. Le personnage qu'il incarne avec brio est antipathique, irrécupérable, perdu à un degré d'éthylisme effroyable. Son visage, constamment défiguré par une constante et violente complainte, est celui d'un martyr. Le profonde culpabilité qu'il ressent est de tous les plans. L'art de Davis, celui de jouer un homme saoul durant tout un film, sans tomber dans la redite, l'outrance ou la maladresse mais avec une nuance infatigable tout à fait pathétique est un véritable tour de force.


Le cinéaste, d'abord comédien avant de devenir réalisateur d'épisodes de séries télé, Leo Penn (papa de Sean et Chris Penn, pour l'anecdote), signe ici sa première et avant-dernière réalisation pour le cinéma. Son nom étant aposé sur la tristement célèbre liste noire d'Hollywood, sa carrière de réalisateur fût condamnée - du moins pour le grand écran - et à la vue ce film, je pense que nous sommes passé à côté d'un grand cinéaste. Ayant donc lui-même vécu une violente forme d'ostracisme, Penn en fait le terreau de tout le propos de son film, en choisissant de traiter du racisme. Pour parvenir à ses fins, Penn nous offre une mise en scène d'un lyrisme politique tout aussi singulier qu'éminemment réjouissant. Il stylise sa mise en scène, par le choix du noir et blanc, qui nous plonge dans une atmosphère irrésistiblement jazzy, non sans nous rappeller également l'ambivalence des personnages, notamment le caractère protéiforme du personnage d'Adam. Penn a également recours aux courtes focales afin de ne perdre une miette de ce casting de "tronches" formant son atypique distribution, où les jeux sur l'apparence sont légion, aux cadrages souvent en contre-plongée pour marquer la suprémacie du jazz sur le public, musique magnifiée grâce au mixage du film et par son montage, qui suit le rythme de la musique et des émotions des personnages. Plus le tempo des morceaux joués sont rapides, plus le montage l'est. Pour marquer la confusion d'un personnage, Penn n'hésite pas non plus à user d'un montage intelligemment syncopé.


Ce lyrisme factuel est au service d'un propos politique, avec le personnage d'Adam étant constamment confronté au racisme d'une (bonne) partie de la population amerloque. Une femme Noire activiste, interprétée par la magnifique Cicely Tyson, tombe amoureuse de lui et tente, tant bien que mal, de le conduire sur le chemin de la rédemption. Le film montre de quelle manière il l'attire dans ses filets puis comment elle tente de le remodeler selon ses idéaux. Vient ensuite l'échec de sa mission, quand l'ami blanc d'Adam se fait passer à tabac par des racistes lui reprochant ses fréquentations interraciales. Adam assiste à la scène mais, se remémorant des propos de celle qui tente de le sauver, qui lui intimait de ne plus verser une seule goutte de sang, alors en plein sevrage et donc en pleine déroute, Adam ne se mouille pas. Tandis que cette même femme est présente et lui demande d'intervenir, Adam ne fait rien, il reste immobile. Elle se rend compte qu'elle l'a rendu pleutre, qu'elle a totalement raté son objectif. Adam loupe se rédemption et c'est d'une beauté cruelle. Ce long-métrage fait preuve d'un violent fatalisme, d'un regard pessimiste - et lucide - sur la veulerie humaine dont le réalisateur Penn fût lui-même victime.


C'est donc un film personnel, dont le scénario fait irrésistblement écho avec la vie personnelle de son cinéaste et ses goûts musicaux. Ce film est un chant d'amour envers le jazz. Penn comprend ce courant et réalise un film jazzy dans son essence même, dans sa manière de le mettre en scène, de le monter, dans son type d'intrigue avec un profil psychologique bien particulier de ses protagonistes, dans sa manière de nous proposer son point de vue. On retiendra le générique de début animé, noir sur blanc, comme un piano, avec une tâche noire qui se mouve selon les notes proposées par le génial compositeur Benny Carter, une légende du jazz. Le film en met d'autres en scène, notamment Louis Armstrong qui se montre ici aussi amusant que convaincant, le fils de Frank Sinatra, Mel Tormé... Tous nous offrent des numéros musicaux fort plaisants, comme des témoignages documentaires des soirées jazzy de l'époque avec ces figures mythologiques de la musique américaine et permet à A man called Adam de piquer notre intérêt à tous les niveaux...

ThibaultDecoster
8

Créée

le 15 juin 2021

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