Un remake sage, amer et non assumé de Scarface
A Most Violent Year, 3e film du réalisateur J.C. Chandor, sorti le 31 décembre 2014, promettait d'être le premier grand spectacle de cette nouvelle année 2015. Très attendu par les critiques et les cinéphiles, ce film policier américain au casting non négligeable et au caractère bien trempé (en apparence), s’avère décevant et loin d'un grand cinéma à cause de maladresses nombreuses et couteuses.
Pendant la première heure, le scénario se donne des airs compliqués. Plusieurs personnages laissent imaginer pour la suite de nombreux conflits moraux et d'intérêts... Mais contre toute attente, il vire à la plus grande simplicité. Abel Morales, un honnête entrepreneur (les deux thèmes majeurs du film, si ce n'est pas excitant) se retrouve seul à gérer une désorganisation générale de sa famille, de son entreprise et de sa carrière, et à faire face à des menaces de vols, d’agressions, de sanctions judiciaires et de risques de faillite, dans un compte à rebours monotone, paradoxalement plus financier que moral. Pour ce faire, Oscar Isaac revêt son costume préféré, celui d’Al Pacino. Tout le long du film il régurgite ce qui jure être du Tony Montana ou du Michael Corleone, au point d’en devenir sévèrement agaçant. Une prestation insatisfaisante de la part d’un acteur dont le talent ne fait aucun doute. Jessica Chastain, remarquable dans son rôle d’Anna Morales, arrive quant à elle à nous faire oublier la grâce qu’elle incarnait à la perfection dans Tree of Life (2011). Mais ni le mari ambitieux, ni l’épouse de luxe n’ont de réelle épaisseur à l’écran, aucun d'eux n’est véritablement attachant. A l’image même du cadre, New York 1981, un décor sans consistance. A l’exception d’une dizaine de véhicules, de costumes et de mobiliers rétro, rien n’émeut le spectateur ou ne le fait véritablement voyager. Tout semble prisonnier d’un style pseudo académicien, épuré par ses plans fixes, sa non profondeur de champ, son rythme lent et ses silences. Un ton trop austère que n’arrivent pas à mettre en valeur l’enjeu du récit, les dialogues et l’intensité narrative. A Most Violent Year est un divertissement surestimé qui tangente l’ennui. Ce qui interpelle ce sont les incohérences scénaristiques, qui discréditent encore un peu le sérieux du film : la scène idiote de la perquisition, la table ronde des copains raffineurs, le comportement multirécidiviste de Julian etc.
Mais si le rythme et le fond manquent de maitrise, la photographie exceptionnelle de Bradford Young fait le reste. Le technicien arrive à insuffler une aura solaire à chaque plan. L’aspect moderne et poétique de l’image, tantôt blonde, opaque, et aveuglante est le seul responsable de l'émotion du film. J.C Chandor sait mettre en valeur ces tableaux, tantôt hivernaux/matinaux, mais il sait encore mieux les animer quand enfin il y a un peu d’action. Les rares scènes de poursuites sont très réussies, justement par ce qu’elles sortent de ces codes pompeux. Le public est en haleine pendant toute la durée de la scène du Brooklyn Bridge ou de celle du réseau ferroviaire, filmées de manières très dynamiques. Véritable matière cinématographique, on regrette que ces séquences ne soient pas aussi nombreuses que tous les effets de sursauts dont se contente le film le reste du temps, au risque de passer pour un film d’horreur de série B : la scène du « cambrioleur », du cerf, du « café » etc.
A Most Violent Year donne définitivement l’impression de vivre dans l’ombre d’un grand film tel que Scarface (1983). L’époque, le trio de personnages (Abel, Anna, Julian), les thèmes de l’émigration, de l’ascension, de la violence… On y retrouve les mêmes codes, à l’exception du génie du cinéma de De Palma. J.C. Chandor, que beaucoup considèrent comme l’un des réalisateurs les plus prometteurs d’Hollywood, n’est pas à blâmer pour avoir rendu hommage à une de ses œuvres de jeunesse (la tentation est grande). Mais c’est un avertissement. A lui de démontrer son réel potentiel (personnel) pour ses films à venir.