En 2007, Marjane Satrapi sortait son premier film, Persepolis, un long métrage d’animation autobiographique acclamé par les critiques du monde entier (palme d’or, césar, oscar…). Aujourd’hui la réalisatrice franco-iranienne revient dans un genre qui lui est nouveau, la comédie, dans une production germano-americaine intitulé The Voices. Le pitch est simple. Ryan Reynolds interprète Jerry Hickfang, un trentenaire simplet vivant seul avec ses animaux de compagnie, chien et chat, dans la petite ville de Milton aux Etats-Unis. Il travaille dans une usine de baignoires et tombe amoureux de Fiona (Gemma Arterton) une comptable de l’entreprise, avec qui il prévoit de sortir. Normal en apparence, Jerry est en réalité schizophrène. S’il ne prend pas ses médicaments, il se met à entendre des voix. Celles de Bosco et de M. Whiskers notamment, toujours son chien et son chat mais transfigurés en deux facettes de sa personnalité (sa bonne et la mauvaise conscience). Tout se déroule bien jusqu’au jour où Jerry tue accidentellement Fiona pendant leur rendez-vous. A partir de cet instant traumatisant, le personnage remet en question sa nature et ses aspirations. Se pourrait-il qu’il aime l’acte de tuer ? Non, pourtant la seule chose qu’il recherche c’est la compagnie ? Il faut aussi éviter la prison n’est-ce pas ? Une spirale qui donne lieu à un spectacle hétérogène, et c’est peut-être bien là le fond du problème.

Le film oscille maladroitement entre des genres incompatibles : la comédie, le drame, le thriller, le gore, la satyre, le film d’auteur et le film existentialiste. Si bien qu’il lui manque un caractère et une identité. D’autres œuvres sur le même thème l’avaient par exemple très bien fait : American Psycho (2000) de Mary Harron, la série Dexter (2006) de James Manos Jr, ou encore, dans un registre plus léger, Tucker & Dale fightent le mal (2010) d'Eli Craig. Dans The Voices (ils n’auraient pas pu trouver un meilleur nom franchement ?) on reconnait les différentes inspirations, mais le patchwork formé n’est pas réussi. Il est indigeste, à l’image même du montage, brouillon dans sa manière de mal agencer le tout (enchainement étrange des séquences, transitions absurdes, scènes d’action irréalistes, comme l’accident…).

Esthétiquement, le travail est indéniable, sur l’aspect glamour notamment (nuances de rose, univers lisse, fun, pop et musical) mais le décor est tellement plat et le cadre tellement vide, qu’aucune atmosphère ne peut s’y installer. Le spectateur est condamné à subir la linéarité et la banalité du scénario sans surprise (ATTENTION SPOIL, assassinat des trois collègues, survie de la psychologue, assaut final de la police). La succession d’éléments invraisemblables ou au contraire terre à terre (discussion avec la psy attachée sur le capot en plein champ), et ses personnages secondaires insignifiants (les collègues masculins) tuent encore davantage le récit.

On est très loin des promesses, presque mensongères, de l’affiche qui inscrivait en tête « terrifiant et à mourir de rire ». Au lieu de ce que tout le monde s’attend, c’est-à-dire une « montée de la sauce », une exagération délirante du propos, dans laquelle excellent des cinéastes comme Quentin Tarantino, Robert Rodriguez ou encore les frères Cohen, tout ici reste mou sur fond de philosophie de comptoir (« tu n’es pas obligé d’écouter les voix dans ta tête » waouh merci !). Si ce divertissement et son argument de vente se réduisent alors au gag du chat sadique anthropomorphisé déjà vu, vu, vu et revu, c’est un peu triste pour ce cinéma.

Il serait mauvaise langue de ne pas citer les quelques bonnes pioches de The Voices qui nous soulagent pendant son visionnage. Tout d’abord la performance agréable de Ryan Reynolds, qui renoue avec l’icône du genre, Norman Bates, tout en lui apportant le côté attachant du « buddy » gentil et mystérieux. Ensuite le jeu sur les points de vues, qui rendent compte des troubles de Jerry et de sa perception de la réalité lorsque il prend son traitement ou non (appartement impeccable ou infecte). Un procédé astucieux, mais qui laisse tout de même beaucoup de questions en suspens : que donnerait son travail avec médicaments ? N’aurait-il pas fantasmé la réalité ? Etc. Et puis quelques scènes exquises : la séquence du Conga dans l’entreprise ; celle du Fast food Krunchy (« I know karate ») où les copines essayent de tirer au clair laquelle Jerry va raccompagner ; le soir du rendez-vous avec le montage alterné entre le restaurant Shi Shan et le Karaoke ; le meurtre de Fiona (« I’m sorry if I hurt you. You’re in pain ? You’re suffering ? ») ; la chorégraphie des charriots élévateurs Milton (« Jerry and Fiona. Fiona and Jerry. Lalalala ») ; et surtout l’entrainant générique de fin (« Sing a happy song ! »).

En conclusion, The Voices est une déception, qui laisse transparaitre de réelles faiblesses techniques et scénaristiques. Le film se regarde tant bien que mal si vous laissez vos exigences de côté, mais le mieux serait de passer votre chemin et d’aller voir une vraie comédie, un vrai film d’horreur, ou encore un vrai film d’auteur. Marjane Satrapi est très talentueuse, il est donc possible que cette œuvre hybride et moyenne soit le reflet d’une transition encore inachevée vers le système de production américain. Il faut en tout cas reconnaitre son effort, et l’encourager à continuer, si elle est sûre d’emprunter cette voie-là.
AxelFossier
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le 17 mars 2015

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Axel Fossier

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