« Le résultat n’est jamais en question. Seulement le chemin pour y parvenir » Abel Morales. Je n’ai rien compris à cette phrase, pourtant elle est mise en avant comme étant le résumé qui explicite le pourquoi du film. Cette phrase veut dire une chose et son contraire. Subtilité quand tu nous tiens, on ne sait pas toujours quoi trop penser. Voilà l'histoire. Dans les années 80, les années fric, une époque où l’innocence n’était plus d’actualité, voilà l’histoire d’Abel Morales, entrepreneur. Une reconstitution tout en discrétion, avec une image sépia type vieux journal, avec une Jessica Chastain avec une grosse choucroute blonde sur la tête, quelques vieilles bagnoles. Les années 80, à part quelques excentricités vestimentaires, et l’absence de téléphones portables, elles ne sont si éloignées que ça. Et le milieu des affaires, à l’air serein et calme en apparence. On n’est pas dans le Parrain façon Coppola ici, c'est sûr. Tout est courtoisie, et discussion entre partenaires, mais la guerre fait rage en dessous. Derrière les amabilités de façade, se sont des requins.
Les camions de l’entrepreneur Abel se font braquer. Des voyous, sûrement envoyés par les concurrents, qui n’aiment pas voir ce nouvel arrivant réussir aussi vite, aussi bien. Comme un malheur n’arrive jamais seul, le procureur du coin l’a dans le nez, l’accuse de corruption, et lance une procédure en justice. Sa villa de nouveau riche est perquisitionnée. Et c'est sans compter qu’il n’a que trente jours pour rembourser un prêt d’un million cinq à ses bailleurs, au risque de tout perdre. Ça fait beaucoup pour un seul homme. Abel reste stoïque, et réfléchit…
D’autres se rouleraient par terre de rage, taperaient du poing sur la table, tueraient quelqu’un…au lieu de s’énerver, lui refuse de répondre à la violence par la violence, et garde un calme de centurion romain. Œil pour œil ? Non. Une course contre la montre s’engage. Va-t’il y arriver Abel, aidé de sa (fausse) blonde de femme ? Il veut rester honnête, droit, respecter les règles, mais tout joue contre lui. Un dauphin, dans une mare infestée de requin, est-ce possible ?
Sa maison est cambriolée. Sa femme achète une arme pour protéger sa famille et ses enfants. Elle n’a pas peur de s’en servir, c’est une maîtresse-femme. Et lui s’énerve, mais contre sa femme (?)Il est con tout mou ou quoi? Ou très intelligent ? C’est un pur, ce mec ? Ou un faible ? Un manipulateur ? Comment il fait pour ne jamais se salir les mains dans un milieu comme celui du pétrole ? Chandor dresse le portrait d’un homme qui n’est pas sans ambigüités. Un portrait flatteur, sauf que des petits signes ça et là, semblent démontrer exactement le contraire que ce que l’on croit être vrai à l’écran. C’est peut-être là le grand écart réussit par le film. Le coup de bluff réussit si bien, qu’on arrive à douter de son propre jugement. Abel maîtrise à la perfection la technique de l’évitement. Il est mené par quelque chose de plus grand que lui…la fin. Et tout le monde sait que la fin justifie les moyens. Et voilà la phrase du début qui prend tout son sens : «...le résultat n’est jamais en question ». Donc je pense que ce personnage a les mains très sales, mais ne le sait pas, ou plutôt le dissimule très habilement, sa face caché est maquillée dans son subconscient. Très beau portrait d’une époque, et d’un homme avide de pouvoir, collé à son époque, jusqu’à se fondre dedans.
Lors de la scène finale, son double revient à l’écran. Son double raté. Ce chauffeur du début du film qui veut réussir, comme son boss, qui veut grimper les échelons, malgré son origine de modeste, immigré, comme son boss. On comprend pourquoi ce chauffeur n’y arrivera pas, et pourquoi Abel lui est chef. Comme tous les meneurs, Abel est vraisemblablement expert en manipulation, inflexible, calculateur, et en plus il a de la chance. Et tout bon joueur de poker vous dira que la chance, ça n’existe pas! Comment il fait? Se tirer d’affaire, garder son sang-froid, perdre des pions, perde des camions, se relancer, même et surtout au bord du gouffre, rester de marbre, comme une statue. C’est peut-être ça le pouvoir? Arriver à se servir des autres sans une once de méchanceté, tellement qu'on le fait naturellement. Même sa femme, est un pion sur un échiquier, malgré les apparences (!) Très belle relation de couple à l’écran, la tête et la tête, pas besoin de jambes. Sa femme fait la comptabilité et lave le linge sale, une affaire de famille. Bluffé, même moi je le suis, Chandor a réussit tout en subtilité, et maîtrise.
Une lecture sans faille des années fric, vues de l’autre côté du miroir, sans le bling bling, sans la surenchère. Sauf ce moment ou ça s’accélère soudain…Abel passe en ville en voiture, et croise des gars qui viennent de lui voler un énième camion. Il se lance sur un coup de tête à leur poursuite. Une fuite en avant, en travelling avant, qui pourrait rappeler French Connection, en beaucoup moins spectaculaire, certes. Et c’est là que ça devient franchement intéressant, car il perd le contrôle. Ce terrain qu’il ne maîtrise pas, celui de l’improvisation, aveuglé par une colère froide, il rentre dedans. Il rentre dans le ventre mou de la ville, poursuit le camion sur une vieille voie ferrée ; il y a de la poussière…on ne voit plus rien… Enfin il met les mains dans le cambouis, va se dire le spectateur amateur d’action à l’américaine. On se noie dans de la brume... Il va se faire avoir, j'en suis sûr, ce n’est pas un homme d’action... Pourquoi il n’appelle pas la police ? Pourquoi il a fait ça ? Retour brutal à la réalité. Finalement, il se retrouve devant son voleur avec une arme à la main. Mais va-t’il l’utiliser ? Mystère.