En 1983, un peu au creux de la vague, ses derniers vrais succès ainsi que ses derniers très bons albums étant loin (peut-être « Coney Island Baby » voire « Street Hassle » en 78 ?), Lou Reed revient là où il a commencé avec le Velvet Underground dans les années 60, le club intime de Greenwich Village, le Bottom Line. Le passé mythique est présent dans cette salle ce soir-là, 28 février, car on aperçoit furtivement Andy Warhol, assis au fond. Il y avait déjà joué en 1978 et enregistré le double et médiocre album sorti sous le titre de « Live : Take no prisoners » dans lequel il parlait presque autant qu’il chantait (je caricature à peine), il en profitait pour régler quelques comptes. Retour en 83 et aucune parlotte entre les chansons, juste les morceaux enchaînés en moins d’une heure, avec ce qui est noté sur la jaquette du DVD comme le « meilleur groupe de musiciens qu’il ait jamais rassemblés » et je en suis pas loin de le penser : l’excellent Robert Quine à la guitare, Fernando Saunders à la basse et Fred Maher à la batterie. Cette même tournée a donné lieu au CD simple « Live in Italy » assez anodin et pas indispensable, avec une setlist sans surprise qui enchaîne les classiques.
Quine était un fabuleux guitariste, aucune comparaison avec Lou qui n’est qu’un guitariste honnête sans plus. Quine quand il joue balance des riffs acérés sans jamais en rajouter (« I’m waiting for the man », « Rock’n’roll »…), terriblement efficace. Malheureusement, on le sait, alors qu’il avait participé à plusieurs albums de Lou au début des années 80, « The Blue Mask » puis « Legendary Hearts », leurs relations étaient vite devenues exécrables, Quine finissant par quitter le groupe et Lou ayant effacé une grosse partie de sa participation à « Legendary Hearts ». Dégoûté et très en colère, il n’est revenu participer à la tournée 83 que pour des raisons uniquement financières…Alors, forcément, l’ambiance s’en ressent, les tensions hors de scène se retrouvant sur la scène le plus souvent (ça s’entend dans le « Live in Italy ») mais leurs relations difficiles donnaient aussi à la musique une véritable énergie, assez brute et c’était le véritable atout de ce groupe. On a quand même tendance à voir un Quine jouer les utilités, dommage. Lou, lui, nous sort des solos sans grande inventivité, c’est quand il se la joue vraiment dissonant, torturant son instrument et son enceinte sur « Kill your sons » qu’il est le plus convaincant, pour moi le meilleur morceau, le plus puissant comme sur le « Live in Italy » d’ailleurs. On comprend alors ce que le punk et la new wave lui doivent. Vocalement, il a un peu tendance à tout chanter de la même façon sans forcer son talent (Dylan en a fait aussi souvent une spécialité). Quant à Saunders, il ne sort qu’un solo, mais absolument excellent dans « New Age ». On a quand même l’impression d’un groupe qui assure très bien, mais un peu sous-exploité et étouffé par la personnalité écrasante et l’autoritarisme de Lou. 5 morceaux du concert d’origine ont été enlevés pour cette captation : "Betrayed", "Sally Can't Dance", "Some Kinda Love/Sister Ray" (pas trop de regret, c’est un long medley assez assommant) et "Heroin".
Un bon concert, pourtant pas la meilleure période de Lou, plus convaincant que le « Live in Italy », le retour aux origines a l’air de lui faire du bien et le public est ravi de voir une légende dans des conditions optimales. Quine a définitivement quitté Lou en 84, les 2 étant fâchés irrémédiablement. Quant à Lou, il allait falloir attendre 1989 pour le voir revenir à son plus haut niveau de créativité avec l’excellent « New York ». Le « Rock’n’Roll Animal » de 74 reste sa référence en concert.