À perdre la raison par Kathou
Avec ce film, Joachim Lafosse nous livre une œuvre mémorable, qui mobilise avec brio les émotions du spectateur tout en essaimant l’intrigue de questionnements que soulèvent les faits relatés.
Il ne s’agit pas de prendre un fait divers ayant défrayé la chronique pour en faire une peinture réaliste, mais bien de chercher à interroger les consciences, en adoptant un regard subjectif sur l’affaire Lhermitte. Non, ce film ne se veut pas l’avocat du diable, il se veut plutôt une prise de recul par rapport à une réalité qui a choqué tout le monde il y a quelques années.
Dans cette optique, Lafosse a choisi une actrice qui l’a fortement marqué pour le rôle principal… et, de fait, ce choix s’est avéré très pertinent. Emilie Dequenne n’a pas été saluée du prix d’interprétation féminine pour rien ! Quant à Tahar Rahim et Niels Arestrup, qui endossent des rôles moins sympathiques aux yeux des spectateurs (il faut dire, aussi, que tout est mis en place pour que le personnage de Murielle remporte tous les suffrages), leur prestation n’en est pas moins admirable : tout se joue, pour eux, dans la subtilité et la nuance.
Pour un tel sujet et pour faire naître émotions et interrogations, sans verser dans les travers de l’excès, Lafosse a opté pour des plans à hauteur d’épaule, ou à hauteur d’enfant : il n’y avait pas lieu d’utiliser les techniques chères aux blockbusters, mais bien de mettre en œuvre des procédés qui soient les plus humains possible pour traiter un drame familial où la presse a quelque peu déshumanisé cette mère en insistant à ce point sur son acte. Au fond, après avoir vu A perdre la raison, on pourrait presque « comprendre » le geste désespéré de cette femme dont on suit la lente déchéance tout au long du film.
Car, oui, il est bien question ici de déchéance. Le personnage du début a subi une métamorphose insidieuse suite à un jeu d’influence et de manipulation. Les scènes où Murielle porte la djellaba sont éloquentes : ce cadeau, au départ assimilé à une forme de reconnaissance, est ensuite perçu comme un accoutrement ridicule.
Je ne pense pas qu’il faille prendre parti ou chercher à savoir à tout prix. Je pense que ce film est de ceux qu’il faut voir, au moins une fois dans sa vie, de ceux qu’il faut voir pour se laisser, de temps en temps, interroger par l’art et l’actualité.