Un médecin généraliste belge, André, (Niels Arestup) ramène du Maroc un jeune homme, Mounir, (Tahar Rahim) qu'il adopte et qu'il va traiter comme son fils. Une relation très forte les unit, d'autant plus que son père est riche et le fait vivre sous son aile aisément. L'arrivée de Murielle (Emilie Dequenne) dans la famille va lentement créer des tensions. La jeune épouse de Mounir va se morfondre dans une routine étouffante, entre perte d'emploi, enfants en pagaille et manque de repères, elle va sombrer dans un mal-être qui l'entraînera petit à petit à sa chute. Le couple bat de l'aile et se retrouve pris au piège par ce père écrasant et omniprésent à qui ils doivent tout, jusqu'à en perdre la raison...
C'est un film bouleversant à bien des égards, de sa construction narrative (flashforward, ellipses puis présent) à la prestation de son trio d'acteurs, tous en grande forme et magnifiquement portés par des personnages plus ou moins faciles à adopter (le rôle de la femme est nettement plus à la portée de n'importe quelle actrice que le rôle du père, où Niels Arestup survole tous les débats encore une fois). A perdre la raison débute sur une scène qu'on ne comprendra qu'à la fin et termine en apothéose, un final qui en laissera beaucoup bouche bée. Le titre prend tout son sens, le spectateur est sonné : mieux encore, il est pris au piège.
Et c'est bien là l'une des qualités principales de la mise en scène qui, si elle privilégie dans un premier temps les scènes "marquantes" de la vie du triangle conflictuel, s'attache dans la deuxième partie du film à capter la misère psychologique de son héroïne dans des moments tout à fait anodins. Emilie Dequenne devient certes le symbole du misérabilisme pour un millénaire au moins, mais elle campe cette décrépitude avec maestria et un sentiment très fort qui doit absolument subsister dans ce genre de film : le caractère pathétique du personnage. Que ce soit grâce au plan séquence dans la voiture où elle laisse aller ses larmes ou dans ses rapports dégradants avec André, elle nous apparaît comme une victime et en même temps comme une femme détestable. Seule, avec ses grands drapés, à baisser la tête quand on lui parle, elle nous fait pitié. Elle est dépossédée et se laisse mourir à petit feu, à contrario de son mari certes mais qui, lui, va se faire violence et asseoir sa violence autour de lui. Tahar Rahim est brillant et écœurant. Le personnage de Niels Arestup est castrateur et empêche toute forme d'évolution mentale. Il brise toutes les libertés individuelles, et par sa présence assommante et sa sainte-puissance financière, culturelle et éducative, devient un semi-Dieu.
Cette descente aux enfers comateuse n'est pas belle, même dans son émotion drastique. Ni la musique bouffante, ni l'attirail du bon mélodrame classique n'ont eu raison de moi, il s'agit bien là d'un coup en traître. Je ne m'attendais pas à détester tour à tour ces personnages, à me prendre d'affection pour l'un et la seconde d'après, lui vouloir du mal. Je n'aime pas les films qui prennent à partie le spectateur et le forcent à ressentir ce qui doit être ressenti, mais ici la force de frappe est trop chirurgicale pour que je ne sois pas touché. Cette fin, qui choque, qui retourne le cœur, n'est finalement qu'une pirouette car l'intérêt du long-métrage n'est pas là. C'est un film qui divise et qui divisera forcément, car il fait d'une part appel à des sensations qui nous sont propres et qui peuvent ou pas nous toucher, et d'autre part appel à une certaine sensibilité quant au jeu du trio. Si l'un nous paraît moins crédible que les autres, et puisque absolument tout dans ce film tient sur les trois en même temps, tout l'intérêt se casse la figure.
La détresse humaine naît de la solitude et de l'isolement. C'est pourquoi on les déteste, c'est pourquoi ils se détestent. Ce sont des handicapés de l'amour, de la vie, entre un capitaliste de l'affection, une ratée qui perd sa conscience au détour de son existence et un lâche opportuniste. Le dernier pouvoir qu'il lui reste. L'inimaginable pouvoir.
Et un drame.