Liés bien au-delà du sang, deux cousins se retrouvent pour un périple en Pologne sur les traces de leur défunte grand-mère juive, survivante des camps de la mort...
Pour peu que l'on soit familier de sa filmographie, Jesse Eisenberg est un de ces rares acteurs dont il est facile d'imaginer qu'il laisse déteindre certains contours de sa personnalité à travers ses rôles. Cohérent dans ses choix où la noirceur se dispute souvent avec l'absurde et s'appropriant (la plupart du temps) des personnages introvertis, torturés, tournés vers une quête existentielle pour guérir ou s'affirmer, le néo-réalisateur qu'il est devenu (après le sympathique mais hélas trop oubliable "When You Finish Saving the World") transmet évidemment aujourd'hui la parfaite traduction de sa sensibilité et de ses obsessions à travers ses propres oeuvres.
Ce n'est donc pas étonnant de le retrouver derrière et devant la caméra de ce "A Real Pain", à la fois dans le regard d'un cinéaste qui s'interroge sur le mal-être actuel de ses pairs pour y laisser entrevoir une possible catharsis face à l'horreur/détresse d'une toute autre amplitude vécue par la communauté juive lors de la Seconde Guerre Mondiale et dans la peau d'un des deux cousins qu'il met en scène, un personnage parfaitement façonné pour lui-même, cadenassé par les conventions sociales et totalement dépassé par le comportement désinhibé de son compagnon de route.
Si les contours de l'opposition du duo de cousins menée de main de maître à l'écran par Eisenberg et Kieran Culkin (certes, à nouveau dans un rôle de dilettant dépressif après "Succession" mais il y excelle tellement, un Golden Globe 2025 est d'ailleurs venu justement récompensé sa prestation) peuvent paraître caricaturaux dans un premier temps, laissant entrevoir un schéma conventionnel de point de rupture/réconciliation grandissant entre eux, "A Real Pain" se montre heureusement bien plus subtil dans la progression de cette relation au sein d'un groupe de touristes américains de confession judaïque, se construisant sur une alternance de moments légers franchement amusants (avec une réelle volonté de faire briller les seconds rôles autour de ses vedettes) et évidemment dramatiques, révélateurs croissants de la souffrance du personnage de Culkin, le tout sur une double tonalité bien pensée en vue de traduire le caractère bipolaire de ce dernier au gré des situations.
Déjouant ainsi ce que l'on aurait pu supputer comme une évolution balisée du lien entre ses deux protagonistes principaux, Jesse Einsenberg préfère à juste titre se focaliser sur la mise en lumière de l'aspect affectif indéfectible qui en émane pour mieux transformer le spectateur en membre à part entière de ce petit groupe de touristes, observateur de plus en plus attaché de (et touché par) ces rapports quasi-fraternels forcément ambivalents mais immuables malgré les tempêtes.
Lorsque vient le point d'orgue de la confrontation à la "Real Pain" au travers de la visite dévastatrice d'un lien ô combien symbolique de ce pèlerinage en terres à jamais blessées, c'est sans doute là que le réalisateur monte d'un cran qualitatif supplémentaire par sa justesse et sa pudeur pour l'aborder et pour mieux nous rappeler que nos maux modernes aussi inaltérables et douloureux soient-ils vis-à-vis de notre condition d'être ne sont parfois rien devant la folie de certains ravages passés causés par l'Homme sur ses contemporains.
S'il manque peut-être in fine quelque chose d'encore plus grand afin que "A Real Pain" nous laisse définitivement terrassé par l'émotion qui s'en dégage, l'odyssée relationnelle concoctée par Jesse Eisenberg pour son deuxième long-métrage nous aura pleinement convaincu que cela arrivera sans nul doute dans un futur proche, dans une réalisation à venir qui ne pourra que friser la perfection au vu du talent qui grandit derrière sa caméra.