Shigeru est éboueur. Il est aussi sourd-muet. Un jour, pendant son travail, il voit une plan de surf cassée et la prend pour lui. Jusque là, Shigeru contemplait la mer. Maintenant, il va tenter d'y agir.
Lorsque l'on connaît un peu le cinéma de Kitano, y rencontrer des personnages sourds et surtout muets, ce n'est pas la surprise du siècle, tant les protagonistes de ses films sont mutiques. Shigeru est un personnage typiquement « kitanien » en cela.
Shigeru et sa copine sont donc sourds-muets. Est-ce pour cela qu'ils vivent dans leur monde, parallèle au nôtre ? Peut-être. Quoi qu'il en soit, les deux personnages sont en marge, existant dans leur bulle à eux, coupés du monde. Ils n'ont même pas l'air d'avoir conscience du monde « normal » autour d'eux. Ils sont observés, épiés, moqués souvent, suivis parfois, mais ils ne voient rien de tout cela. Ils suivent leur propre voie sans même accorder la moindre importance à ce qui se passe autour d'eux. Tout cela ne les rend que plus grands et plus beaux.
Il faut voir cette scène superbe : Shigeru se lance à l'eau pour la première fois avec sa planche de surf rafistolée. Bien entendu, ce sont des débuts tâtonnants, maladroits. Les surfeurs confirmés se moquent volontiers de lui. Mais en contradiction avec leurs propos que l'on devine sarcastiques, il y a le regard de sa copine. Regard silencieux mais qui en dit tellement, de son amour, de sa tendresse. Deux regards, deux mondes, deux sentiments.
Kitano, bien entendu, choisit le regard et le monde de ses deux protagonistes. Le film est accordé à leur mesure. Le monde que nous montre la caméra, c'est le leur. Au point que ce sont presque les « entendants-parlants » qui sont marginalisés, presque handicapés par une vision du monde trop restrictive, trop limitée. Le monde de Shigeru semble tellement plus riche, quasiment illimité... C'est peut-être cela que nous montre le final du film.
Le traitement de la bande son est formidablement travaillé. Les dialogues sont carrément relégués au second plan, soit parce qu'ils sont inaudibles, soit parce qu'il sont totalement dénués d'intérêt. Nous sommes donc finalement placés dans la situation des deux protagonistes, n'accordant aucune importance aux paroles des autres. C'est là qu'intervient la musique, que l'on imagine être la transposition à l'écran des pensées et des états d'esprit des personnages. C'est sans doute cette musique qui constitue les véritables dialogues, les propos des personnages. Elle est en tout cas plus chargée de sens que les mots prononcés.
La caméra aussi se calque sur Shigeru et sa compagne. Comme lui, l'objectif se perd dans la mer. Une obsession, comme un appel. Qui sera de plus en plus présente dans l'esprit de Shigeru, au point d'occulter tout le reste. Il ne se présente plus au travail, et lui qui, dans la première moitié du film, est toujours accompagné de sa copine, il est de plus en plus seul par la suite. Comme si, après s'être coupé de quasiment tout le monde, il se séparait du seul point d'attache qui lui restait avec ce monde.
Avec A scene at the sea, Kitano nous livre un film doux, mélancolique, contemplatif, beau, émouvant, parfois drôle (de cet humour pince-sans-rire si présent dans son œuvre). Le rythme est absolument impeccable : les plans et les scènes sont parfaitement calibrées pour faire naître les émotions voulues sans trop appuyer ou insister lourdement. Le film se révèle d'une grande poésie.