Alors, c'est donc ça ? Le légendaire « A Serbian Film », un film précédé par sa réputation sulfureuse et diabolique, à tel point qu'il est considéré comme l'un des objets filmiques les plus atroces jamais réalisés ? Je me souviens de l'époque où il est sorti, ça mouillait son froc dans les cours de lycée juste en prononçant son titre. Les adolescents un peu dérangés, en quête de sensations fortes, adeptes des œuvres les plus macabres (« Hostel », « The Human Centipede » et consorts) avaient une demi-érection rien qu'à l'idée de savoir qu'ils allaient pouvoir ajouter un nom à leur collection ignominieuse de longs-métrages...
Bref, est-ce vraiment le film le plus horrible et traumatisant qui fut jamais réalisé ? Sur le papier, peut-être. Mais dans les faits, c'est juste une bonne grosse daube mal exploitée. Je m'attendais à voir quelque chose d'absolument abominable, à devoir mettre le film en pause pour reprendre mon souffle, à dévier le regard de l'écran le temps d'un instant, voire à ne pas réussir à terminer le métrage... Eh bien je dois dire que je suis extrêmement déçu, rien de tout cela n'est arrivé. Comme on dit, ça m'en a touché une sans faire bouger l'autre. À aucun moment je n'ai ressenti le moindre petit malaise devant ce truc que j'ai maté comme un épisode de « Oui-oui ».
Suis-je un être démoniaque et insensible ? Non, c'est juste que je n'y ai pas cru un seul instant. Je ne suis jamais rentré dans le délire parce-que c'est tout simplement complètement débile et grotesque. Dans un premier temps, l'intrigue met beaucoup de temps à se mettre en place, pendant 50 minutes, il ne se passe carrément rien en fait. Ensuite, on a ce con de Vukmir qui nous prend la tête durant tout le film avec ces monologues de merde dignes du pire philosophe de PMU « c'est grâce à nous si ce pays tient encore debout blablabla » et qui parfois nous fait rire avec des sorties magistrales : « Milos, tu es mon bouc ! ». Ce personnage est une véritable caricature, tellement sot qu'il est difficile d'accorder du crédit à ses délires. Sans parler de la fin, quand Milos s'aperçoit du blasphème qu'il vient de commettre sur sa propre famille et se jette sur Vukmir pour lui fracasser la tête par terre... eh bien le fait d'avoir le crâne en bolognaise ne l'empêche de continuer à déblatérer ses conneries avec une tête de gogole « Ça, c'est du film ! Oh oui ! Ça, ça c'est du film oui ! ». Ridicule ce jeu d'acteur.
Parlons-en des acteurs. À l'exception de Srdjan Todorovic qui ne se débrouille pas trop mal dans le rôle de celui qui est en proie au doute, et des personnages feminins qui font quelques interventions, c'est un véritable festival de branquignols. La palme revient quand même aux gorilles de Vukmir qui sont les rois de l'actorat. Je pense notamment à une séquence dans la rue quand ces derniers recherchent Milos qui s'est échappé : ils le retrouvent en train de se faire tabasser par deux boloss parce-que le pauvre gars, drogué à l'aphrodisiaque pour bouquetin, a sorti sa queue et a commencé à se branler sur le trottoir ; bon, là on a King et Kong qui veulent récupérer Milos mais ils sont embêtés parce-qu'il y a deux cons de témoins ; du coup, qu'est-ce qu'on fait dans cette situation ? On chope les mecs par derrière pour leur faire un massage des cervicales façon kinésithérapeute avant de leur briser la nuque dans un élan de réalisme à couper le souffle... je me suis bien marré, mais peut-être pas autant que le coup de la teub dans l'œil, ça c'était magistral. Des trucs débiles, il y en a à foison, comme le triple suicide avec une balle de 9 mm tout à la fin. C'est déjà compliqué de traverser un corps avec une balle de "9 para", mais alors trois d'un coup, il faut le faire ça quand même...
Il n'y a rien qui va dans ce film, même la réalisation qui est bien trop proprette la quasi-totalité du temps. Les cadres sont trop propres, trop éclairés, ce qui ne colle pas vraiment avec le ton du métrage. Spasojevic a vu trop gros pour son premier film, il n'arrive pas à gérer sa mise en scène pour que ce soit impactant. Il n'en résulte qu'une accumulation de mauvais choix, du malsain juste pour être malsain, complètement gratuit et stupide sans jamais que la mise en scène ne parvienne à faire ressentir un malaise véritable. D'ailleurs, le réalisateur se débrouille assez bien pour poser son histoire, pour présenter les personnages, faire des portraits, des inserts, filmer les moments du quotidien. Mais dès qu'il s'agît de filmer de l'action ou du gore, on sent que Spasojevic est dépassé, il ne sait plus comment tenir sa caméra, comment cadrer la chose. D'un point de vue technique, la meilleure partie du film est celle durant laquelle il ne se passe rien.
Quand on entre dans le feu de l'action, que reste-t-il ? Des plans débullés mal cadrés. Des effets clipesques. Quelques filtres jaune ou gris extrêmement laids. Des plans qui s'essoufflent rapidement. L'action ne dure pas, elle a même beaucoup de difficulté à exister à l'écran. Finalement, de nombreuses choses sont plus suggérées que montrées réellement. Et puis ce choix d'exposer l'action en caméra subjective, qui elle-même regarde un écran de caméscope, ça retire toute tension et nous éloigne du propos, on a seulement l'impression d'être le spectateur d'un spectateur. La musique est bien trop présente, sur le papier cela permet d'appuyer l'horreur et la violence de ce qui est montré, mais une fois de plus, dans les faits ça ne fait que nous en éloigner un peu plus.
Soit, je pourrai passer des heures à énumérer tout ce qui ne va pas dans ce film et expliquer pourquoi ce que l'on voit n'a quasiment aucun impact, mais je pense avoir suffisamment développer de chose sur cette daubasse. Une chose est certaine, « A Serbian Film » ne mérite pas du tout sa réputation de film indépassable dans l'atrocité ; c'est juste grotesque et ridicule tant ça cherche à choquer gratuitement sans jamais s'en donner véritablement les moyens. C'est pas tout de vouloir jouer les psychopathes torturés, il faut qu'on y croit un peu sinon ça ne fonctionne pas. Ah ! Et puis il paraît qu'il y a un message politique vis-à-vis de la situation socio-politique en Serbie... Mouarf... Conneries ! À d'autres.
On préfèrera toujours un « Salò ou les 120 journées de Sodome » de Pier Paolo Pasolini ou un « Cannibal Holocaust » de Rugerro Deodato. Là, ceux sont des films qui ont un réel impact, des œuvres qui savent malmener leur spectateur comme il faut tout en ayant un vrai discours politique sous-jacent. Sinon, dans ma liste de films « dérangeants et traumatisants », j'ai plusieurs métrages du hong-kongais Mou Tun-fei ainsi que le fameux « Philosophy of a Knive » d'Andrey Iskanov dont la seule bande-annonce me retourne déjà l'estomac. Là, je sais que je ne serai pas déçu par la marchandise, contrairement à cette grosse blague très bien "marketée" qu'est « A Serbian Film ».