(contient des spoilers)
Certains films dans l'histoire du cinéma ont marqué leur époque grâce à la polémique qu'ils ont créé. Je pense à Orange Mécanique de Kubrick et Salo de P.P.P. qui sont à mes yeux les exemples les plus marquants de film choc : interdits dans certains pays, ces films ont déchaîné les passions mais ils sont devenus des films cultes. Pour prendre un exemple plus récent, il y a aussi Martyrs.
Cette critique va tenter de démontrer rapidement pourquoi A Serbian Film ne le deviendra certainement pas.
Tout d'abord, Orange Mécanique, Martyrs et Salo n'ont pas pour seule qualité de susciter le débat. Ce sont avant tout des films à l'esthétique forte. Serbian Film a certes une jolie photographie et un acteur principal plutôt bon, mais il est loin de mettre en place un langage cinématographique propre. Il ne comporte pas de plans ou de séquences particulièrement bien mis en scène qui marquent les esprits. Ce qui frappe dans le film serbe, c'est son manque de limite éthique avant tout. Et je pense que c'est là la différence fondamentale entre ce film et les trois autres.
Il y a eu un tel buzz autour de ce film que ça m'a donné envie de le voir, pour me forger ma propre opinion. Je me suis dit que cela pouvait être intéressant de voir un film qui repousse les limites de ce que l'on voit habituellement au cinéma et que certains films provoquant une telle haine pouvaient parfois être visionnaires ou plus simplement passionnants.
La réflexion était juste, le film beaucoup moins...
Les 40 premières minutes, je me suis demandé pourquoi on en faisait tout un foin, y'avait franchement pas de quoi fouetter un chat. J'avoue que je me faisais carrément chier. Puis la séquence où le réalisateur egomaniaque explique les raisons de son film est apparue. Et là le malaise est né.
En effet, j'ai eu l'impression que le propos était en fait de faire passer le serbe comme une victime. Je reviendrai sur ce point ultérieurement.
Dans cette séquence, il y a la fameuse scène du bébé, celle qui suscite autant de haine. Et à vrai dire, elle est carrément plus risible qu'autre chose. C'est tellement clichesque ! C'est le moment où je peux voir le scénariste se dire derrière son bureau "qu'est ce que je peux mettre pour choquer ? une femme se faisant violer ! non, un enfant ! non, une femme enceinte ! oh non !!! j'ai trouvé, bingo ! une femme enceinte accouche et regarde son nouveau né se faire violer !!!".
Le réalisateur et le scénariste disent dans des interviews que leur film est d'un côté un acte contre le politiquement correct de notre époque et de l'autre, une métaphore sur le serbe, victime de son gouvernement et de sa société. Bien sur, aucun journaliste ne soulève le fait historique que la Serbie, dans les Balkans, est loin d'être une victime... Ont ils la mémoire courte ? Possible car on ne parle pas ici d'un événement remontant au Moyen-Âge, mais que toute personne à partir de 20 ans a connu de son vivant.
Dans le fond, le bébé serait la métaphore ultime du propos politique du film : l'innocence déflorée dés sa première respiration. Un réalisateur serbe peut il vraiment sérieusement et sans rougir comparer son peuple à ce nouveau né violé ? Il faut arrêter de rire. Quand, plus d'un demi siècle plus tard, un allemand fait un film sur Hitler ("Der Untergang"), cela crée un débat de société. Mais pour A Serbian Film, rien, juste des interviews polies et non conflictuelles du réalisateur et du scénariste, alors que ce qu'il y a de plus politiquement incorrect dans ce film, c'est son message sur la Serbie, qui en plus de manquer de subtilité, est franchement une belle révision de l'Histoire ... Rappelons que ce film est soutenu financièrement par son État...Bref...
Et mettre en scène le viol d'un nouveau né pour créer une image choc, c'est aussi fin que de filmer des "chatons TrO MiMi <3 <3" pour faire sourire les gens. C'est efficace certes, mais ça vole pas haut.
En dehors du propos métaphorico-politique du film sur la Serbie, une des scènes qui m'a le plus choquée est celle où à la fin, Milos viole son fils pendant que sa femme se fait elle aussi violer. Là où le problème se situe, c'est au niveau du cadre et donc du tournage et in fine de la réalité. Nous pouvons observer que sur certains plans, l'acteur adulte est en train de "chevaucher" le mineur, non pas par le montage mais parce que les 2 corps (ou parties de corps) sont dans le même cadre. Ça signifie que l'acteur enfant s'est vu 1. expliquer la scène ("alors tu vois, ton papa va t'enculer et tu vas saigner") et 2. se faire frotter le cul par un adulte. En tant que réalisateur, il est éthiquement impensable de cautionner ça, même avec des précautions. Il n'est pas envisageable de faire tourner ces scènes à un enfant aussi jeune. Si le but avoué du film est de se mettre du côté des victimes et de dénoncer les abus, ne fais pas le bourreau derrière ta caméra, un peu d'éthique merde ! Certes, ce n'est que du cinéma, certes l'enfant était d'accord (enfin surtout ses parents, ça m'étonnerait qu'il ai lu le scénario en se disant "cool, je vais le faire, hé m'man, t'as vu ? je vais jouer le fils d'un acteur porno qui fait du snuff et à la fin, il me sodomise et j'en meurs"), mais un tournage, c'est une réalité.
Quelles limites A Serbian Film franchit il ?
Pour ma part, A Serbian Film explose les limites du mauvais goût. Ce film est racoleur. Il ne séduit pas, il met les choses à plat, comme une vieille pute qui écarterait les jambes à la vue d'un billet.
Les fans de cinéma d'horreur aiment en général en avoir pour leur argent et ils adorent les scènes "borderline". Le too much est la norme (donc ce film leur est destiné). Mais la pédophilie infantile est toujours un de ses tabous, comme partout. Donc un excellent moyen rapide d'enfoncer une porte.
La vrai force d'un film choc réussi est d'avoir une raison d'enfoncer ces portes, qu'elle soit politique ou personnelle. Et là, j'en vois pas. J'ai beau chercher, rien ne m'apparaît comme étant essentiel dans ce qu'il dit, ni même dérangeant (en dehors de sa position politique).
C'est le vide autour du choc qui me déplait. Parce que dans le fond, le cinéma c'est pas la télévision ou Youtube, ce qui choque profondément, ce n'est pas ce qu'on voit, c'est la façon dont un propos est mis en scène et c'est la réalisation qui donne au film sa force et au propos, son ampleur. Ici, je ne perçois que du gratuit malicieux, du film à buzz.
Ce que je vois quand je regarde A Serbian Film, c'est un film qui veut choquer à tout prix. Et il faut avouer que ça a plutôt marché médiatiquement. Mais livrer un choc sur un plateau d'argent, c'est un peu comme appeler une prostituée pour passer une heure ou 2 à la maison. Ça peut satisfaire ou pas sur le moment, mais la relation comporte très peu de mystère. Tu sais qu'une fois que c'est fini, ça ne débouche sur rien.
Film buzz oui, culte non.