Dés les premières minutes d'A Serious Man, les frères Coen développent un univers délirant, mélange de tradition (l'introduction en apologue sans morale), de révolution culturelle et de rock psychédélique. En grands philosophes du malheur, ils poursuivent leur réflexion de prédilection, soit "Comment un homme simple, ordinaire, "sérieux", peut perdre le contrôle de la situation et frôler la folie". Ce "culte" de la détresse, présent dans la presque totalité de leur filmographie, de Sang pour Sang à No Country for Old Men en passant par The Big Lebowski, est pour la première fois lié à un caractère autobiographique certain. Le Middlewest des années 60 et la communauté juive, douce nostalgie teintée de sarcasme, y sont dépeints avec beaucoup de précision nous faisant profiter d'une immersion totale à travers une foule de détails (les termes hébraïques – hermétiques mais facultatifs -, la Bar Mitzvah, le bureau du dernier rabbin, la banlieue 60s) et d'une magnifique photographie de Roger Deakins rappelant certains magazines d'époque.
Accompagnée d'une bande originale à la fois mystérieuse et lourde (Carter Burwell, se surpassant) et de légères envolées rock (Jefferson Airplane), la mise en scène démontre une fois de plus le brio des frérots pour les atmosphères tendue (les lents et pesants travellings), la perte de prise sur les évènements et enfin, la folie (les rêves et surtout la somptueuse séquence du toit). La galerie des personnages des Coen, êtres grimaçants, plus pathétiques les uns que les autres, sont toujours touchés d'une immense tendresse (si le destin dicté par le Dieu cinéaste enfonce le clou à répétition, on a parfois l'impression qu'il s'agit à contre coeur). Les acteurs les incarnant, inconnus du grand public (à l'inverse de la blague Burn After Reading), sont pour la plupart tout simplement parfaits (mention particulière à l'acteur principal, Michael Stuhlbarg), leur jeu ayant une influence considérable dans cette tension perpétuelle et cette douce schizophrénie.
A Serious Man n'est peut être pas "un" chef d'oeuvre au sens qualitatif mais vraisemblablement le chef d'oeuvre des Coen, film somme de toute leur filmographie et de leurs thématiques.