Il n'y a pas que le grain de l'image (naturel ou numérique selon les séquences) qui confère à A Thousand and One son cachet des années 90 : toute la structure du mélodrame à combustion lente rappelle un certain cinéma du XXe siècle, sans que l'ensemble ne tombe dans le cliché du film-hommage à une époque à l'aide de références évidentes. C'est une première réalisation pour A.V. Rockwell et son assurance dans le portrait d'une petite famille resserrée autour de la mère force le respect, soulignant une sensibilité presque toujours solidement maîtrisée — il n'y a que quelques séquences qui insistent un peu trop sur certains points, certains faiblesses intimes de tel ou tel personnage.
Globalement la direction d'acteur est excellente et constitue sans aucun doute le matériau de base de l'appréciation (ou du rejet). Dans le rôle de la mère Inez de la Paz, Teyana Taylor est franchement impressionnante du début à la fin, par la force de sa détermination comme par les zones de vulnérabilité qu'elle laisse transparaître à la faveur d'un relâchement. Il y a tout d'abord le premier niveau, celui de la fiction pure et de son implication dans la récupération (illégale) de son fils placé en famille d'accueil : Rockwell, au scénario, a su tisser la toile d'un drame familial émouvant qui s'achoppe sur l'établissement d'une famille dysfonctionnelle noire dans le New York des années 1990. L'évolution du rapport mère-fils échappe a bien des stéréotypes pour creuser un sillon singulier, tandis qu'en toile de fond s'illustre l'autre niveau d'intérêt, la mutation d'une époque, avec les discours des maires new-yorkais successifs qui rythment discrètement quelques passages-clés.
Malgré la dureté de ce qui est raconté A Thousand and One ne cède jamais à quelque misérabilisme que ce soit, et c'est à mettre au crédit du travail d'écriture et de composition du personnage de la mère, dont la relation avec son enfant nourrit l'essentiel des enjeux — trame de fond sociale avec ses zones de violence mais aussi vecteur d'une révélation significative. Tandis que la gentrification s'établit dans l'arrière-plan et que divers bouleversements (raciaux, sécuritaires) structurent la ville, la mère ne déviera pas de sa trajectoire.
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