About Ray
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About Ray

Film DTV (direct-to-video) de Gaby Dellal (2016)

Déséquilibré, trop de biais transphobes.

Attention, contient des spoils mineurs (violence, conception de la transidenté dans ce film).


Les 20 premières minutes du film s'annonçaient bien et faisaient état d'un film moderne, et je m'attendais vraiment à une bonne surprise cette fois-ci, mais il y a eu selon moi une grosse erreur dans la scène qui suit : celle qui est de penser que les hommes trans (ici, Ray) pensent leur masculinité comme la masculinité cisgenre hégémonique. Je m'explique : on a affaire à une scène qui montre des mecs, visiblement cis, qui parlent entre eux d'une nana comme d'un bout de viande. Ray, lui, n'ayant pas encore transitionné, sourit à ces évocations sexistes qu'il entends. Evidemment, hommes comme femmes peuvent faire preuve de sexisme ; mais Ray, qui a été socialisé en tant qu'homme trans dans le placard la majorité de sa vie, et ayant été perçu comme une fille/femme, et probablement objectifié de la même façon, il y a une incohérence dans cette réaction. Il aurait plutôt du ignorer, ou être dégoûté.


Je comprends le point de vue des scénaristes, et que l'intérêt de cette scène est de montrer qu'il se voit et se pense comme un homme, et qu'il en est profondément un : mais pourquoi la figure de l'homme qui est ici défendue, atteignable et enviable est celle de l'homme sexiste qui, pour parler aussi vulgairement qu'eux dans cette scène, lorgne sur les pare-chocs des meufs ?


L'autre problème avec ca, c'est que certains peuvent penser qu'il est à ce moment là perçu comme une femme lesbienne, et que donc c'est normal qu'il sourit à des évocations aussi sexistes : encore raté, faire porter le chapeau aux lesbiennes de la sexualisation des femmes et du fait qu'elles seraient encore plus macho que les hommes machos, c'est justement un biais lesbophobe vieux comme le monde.


D'autant plus que la majorité des hommes trans ne construisent pas leur masculinité autour de modèles masculins clichés à mort, avec tout le package sexiste qui va avec, et sans remise en question de ces clichés par la suite. Il y avait d'autres manières de montrer comment un adolescent peut concevoir sa transidentité, on est sur une facilité scnénaristique digne des feuilletons des années 2000 là.


Sinon, il y a de l'idée, je trouve les dialogues qui entourent ce sujet très réalistes et représentatifs de ce qu'il peut se passer dans une famille « classique », càd ni complètement fermée sur le sujet au point d'infliger des violences telles qui virer de la maison son enfant ou l'accuser de tous les maux de la famille, ou bien encore cacher son existence, ni complètement ouvertes au point d'une acceptation complète, immédiate et parfaite. C'est le récit d'une famille moyenne, ce qui est une bonne chose pour montrer le processus d'acceptation par lequel elles peuvent passer, les familles peuvent ainsi facilement s'y reconnaître.


Malheureusement, en parlant de violence, cette fois-ci de la part des autres, c'est évidemment important de la montrer : le problème étant qu'elle arrive de manière trop rapide et abrupte dans le film (vers la 25ème minute), ce qui donne l'impression d'une précipitation dans le scénario, on a pas encore vraiment eu le temps de découvrir la personnalité de Ray. Ca donne aussi l'impression d'un développement de la thématique des violences transphobes en surface : ca y est, on lui a mit un cocard sur l'oeil, c'est bon maintenant on peut continuer dans le film maintenant que ca a été mit. Le timing n'était pas très bon. Il y a un rééquilibrage au niveau du soutien donné par sa mère, mais il n'est pas suffisant pour contrebalancer cette scène.


De plus, je ne sais pas si quand la mère a parlé de la transidentié au père, elle a fait exprès que la conversation soit génitocentrée pour qu'il puisse comprendre ca sous l'aspect « acceptable » d'une transexualité hyper-dysphorique, pour l'attendrir en quelque sorte, ou si c'est pour montrer aux spectateurs qu'encore une fois, les hommes trans ont forcément envie d'un pénis.


Alors ici on parle du personnage de Ray en particulier, et son expérience individuelle est tout à fait valable, je ne doute pas que sur cet aspect là des personnes trans puissent s'y reconnaître.


Mais est ce que les personnes qui sont tombées sur ce film ont le degré de réflexion suffisant pour se rendre compte qu'il ne s'agit là que d'UNE expérience de la transidentité, et que même si un jeune homme trans n'a pas envie de se faire opérer, son expérience est autant valable que celle qui est présentée dans le film ? Ou est-ce que l'emphase sur les organes génitaux est un moyen pour les réalisateurs de montrer la transidentité sous un angle bien acceptable, bien télé, bien SOFECT et carrée ? (Je précise que la sofect est un organisme existant en France qui est très cadré et qui a justement une vision très...rigide de la transidentité. Il faut rentrer dans les stéréotypes, dire que si on est trans, c'est qu'on jouait aux barbies et pas aux petites voitures, et inversement. Et si en tant que personne trans on ne rentre pas dans ces clichés ? Bye bye débrouille toi. Bref, trêve de digressions).


Le film devait être éducatif pour l'année à laquelle il est sortie, et encore.

Surtout qu'on parle de sa dysphorie de genre, mais à quel moment on est vraiment centrés sur la dysphorie de Ray de son point de vue, et pendant plus que quelques secondes ? Aucun.

Si encore c'était centré sur son individualité, certaines paroles auraient pris leur sens, mais ce n'est pas le cas et on se retrouve avec des biais transphobes qui ne vont dans aucun sens, si ce n'est celui de l'oeil d'un spectateur non-avisé.


Autre chose, le film aurait été plus appréciable si on explorait plus la personnalité de Ray, qu'on le voit plus vivre, monter ses vidéos. Qu'on ait plus d'informations sur ce qu'il aime et sur ses passions. C'est un aspect qui aurait vraiment gagné à être fouillé. Ca donne un goût d'inachevé au tout. La psychologie des personnages est construite de manière trop superficielle, et je n'irai pas jusqu'à dire que ce sont des jetons pour faire avancer le film, mais c'est plutôt limite.


Au milieu du film, on s'ennuie, et des longueurs commencent. Pourquoi la mère, qui semble être la seule vraie figure de soutien qui ne mégenre pas son fils, à la fin du film, craque et dit « elle » en déblatérant des phrases creuses sur le fait qu'il s'était coupé les cheveux ? Tout est très centré sur la souffrance de l'entourage, mais celle de Ray, finalement...pas vraiment. Encore un film déséquilibré sur la transidentité.


Bref, ca aurait pu être bien mieux. Il y avait pourtant de l'idée, mais malheureusement trop de biais transphobes. Je me demande si le scénario a été relu par plusieurs personnes concernées.


Je lui mets tout juste 4.

p0mkanel
4
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le 13 juil. 2023

Critique lue 12 fois

p0mkanel

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