Mourir pour vivre.
Parfois, une œuvre possède un capital sympathie tel qu'elle s'impose à vous naturellement. Les ingrédients pour aboutir à ce type de résultat sont évidents : récit porté à hauteur infantile,...
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Parfois, une œuvre possède un capital sympathie tel qu'elle s'impose à vous naturellement. Les ingrédients pour aboutir à ce type de résultat sont évidents : récit porté à hauteur infantile, artisanat, casting bancable, rythme savamment dosé, intrigue mystérieuse et poésie de la mise en scène.
Au milieu des années 1980, James Cameron, initialement éminent réalisateur de films bis, bénéficie déjà d'un début de carrière remarqué avec « Terminator » et « Aliens », deux films avec lesquels il se place à Hollywood comme l'un des meilleurs metteurs en scène du cinéma d'action. Lui vient alors l'envie de réaliser un projet plus personnel, aboutissant un scénario qu'il a commencé à écrire alors qu'il n'avait que 17 ans : « Abyss ». Inutile de revenir sur les déboires que le cinéaste rencontrera lors du tournage, au cours duquel il n'hésitera pas à mettre en danger sa propre vie, ainsi que celle de son acteur principal, Ed Harris. Et si il sera un semi-échec à sa sortie, « Abyss » fait aujourd'hui parti des films à reconsidérer. Accumulant les motifs fictionnels, Cameron filme avant toute chose l'histoire d'un noyau d'individus coincés dans un environnement abstrait : une centrale sous-marine encerclée par une colonie d'extra-terrestres. Survolant les contraintes et les limites des autres superproductions de son temps, « Abyss » est avant tout un film d'un humanisme terrassant, ficelé dans le temps et frappé d'un gigantisme enfantin.
Échographie des profondeurs et mécanique vaudevillesque du meilleur aloi, « Abyss », sous ses allures d'« Alien » sous-marin, met en exergue une métaphysique de l'amour et de la mort, tout en se soudant au danger et à l'exaltation de l'amitié. Sans jamais se définir par ses grandioses effets-visuels, le film parvient sans mal à dissimuler le travail logistique et technologique dont il est le fruit, embarquant dans une odyssée métaphorisant naissance et mort à 1000 mètres de profondeur, tout en se dressant comme une planante bromance fantastique, s'abstenant dans toute circonlocution. Plus que toute autre chose, James Cameron s'attache à mettre en scène. Doué de son expérience et de son imagination, le luron filme les espaces clos comme personne : cadrage au cordeau, immersion suffocante, rebondissement nerveux et abstraction sont dans la ligne de mire du cinéaste, révisant le langage cinématographique à travers le prisme d'une présence surnaturelle dans l'équipage. Tissant avec ardeur un propos dense et profondément humaniste, le futur réalisateur de « Titanic » déploie un arsenal de créativité sur un ton d'une sincérité difficilement mesurable.
Flanqué d'un hyperréalisme viril marié à un onirisme surpuissant, le métrage ne tarde pas à nager dans un spectacle graphique et émotionnel, faisant notamment penser à « Solaris » d'Andreï Tarkovski, à travers le traitement plutôt lunatique de son sujet. Rencontre du troisième type sous pression, « Abyss » nous fait rapidement oublier les étoiles pour tracer, dès son ouverture, un monde clos, ambigu. On filme d'abord la destruction d'un sous-marin, puis la tempête en approche. Les plans s'attardent ensuite sur la construction aquatique rouillée, galvaudant une tension galopante. Ainsi, nous plongeons avec adrénaline avec ce funambule de l'image qu'est Cameron, rejetant toute décadence et faisant davantage appelle à la sensibilité de son spectateur qu'à l'intellect. « Abyss » est un pur film sensoriel, mais rejette une quelconque forme de schématisme pour exposer une logique architecturale, dans laquelle les seuls guides sont les sentiments humains. L'étreinte que dégage le film nous absorbe alors à pleine puissance, servie par les effets spéciaux olympiens supervisés par David Amborn, et grâce auxquels le film échappe, encore trente ans après, à l'empreinte du temps.
Cette présence extra-terrestre est un symbole divin ? Une métaphore de la mort ? Une création de la folie ? La matérialisation d'une mère ? Comment interpréter la nature ambivalente d'un tel film ? Alors qu'il flirte avec la psychologie, le badass et la philosophie, James Cameron explose les boussoles de la science-fiction, coupe le cordon ombilical reliant la mort et son enfants, et subjugue par la beauté de ses images. Il est également convenu de saluer le travail du casting, dont Ed Harris, émouvant dans une interprétation reposée, ainsi que Mary Elizabeth Mastrantonio, dont le personnage donne au film un percutant propos féministe. Le scénario parait peu épais, mais il n'est jamais dénué de consistance. Chaos du corps dans le vide abyssal, fascination du rien, courage de vivre et renaissance. Encore aujourd'hui, on se croirait devant le cinéma d'après-demain...
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Créée
le 23 août 2016
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