Attention, je vais spoiler donc à moins que vous viviez dans un vaisseau au large de Neptune, je vous conseille de revenir quand vous aurez vu le film.



Apocalypse (Now) Please



Ad Astra, remake d’Apocalypse Now dans l’espace ? Cette comparaison peut paraître à la fois flatteuse et déplacée, tant le métrage de Francis Ford Coppola demeurera inégalé, et tant a priori le sujet des deux films diffère totalement… Et pourtant, quand on voit les deux oeuvres à des moments relativement rapprochés, ce qui fut mon cas, le lien ne semble pas si saugrenu que cela. D’autant que James Gray a déclaré qu’Apocalypse Now était son film préféré, et que son précédent long-métrage se déroulait également dans la jungle. Voici les éléments d’Ad Astra qui m’y ont fait penser, en rapprochant notamment les personnages de Clifford et du Colonel Kurtz.


En premier lieu, jetons un œil à la mission des héros des deux films : une mission presque suicide, qui consiste à s’enfoncer dans les méandres de la jungle ou de l’espace, pour retrouver un homme qui semble avoir perdu la raison et l’assassiner, afin d’éviter l’ébruitement d’une affaire et protéger un secret gênant. De plus, à la fin, on observe le retour des deux héros chez eux après leur mission effectuée.


Ensuite, les deux films sont à rapprocher sur la structuration du récit, qui consiste à avancer progressivement vers le but final, en s’arrêtant à des sortes de checkpoints : les planètes dans Ad Astra, les différentes bases alliées ou ennemies dans Apocalypse Now. Bateau militaire ou vaisseau spatial, même combat ? D’autant plus que le premier ennemi rencontré est un animal dans les deux films : un singe de laboratoire dans Ad Astra, un tigre dans Apocalypse Now. Cela donne lieu à la première scène vraiment tendue des deux oeuvres, dans lesquelles on commence à avoir peur pour nos héros et c'est à ce moment qu'on se dit qu'ils auraient peut-être mieux fait d'éviter le voyage.


La thématique de la folie, dans les deux cas, est au coeur du scénario : l’environnement hyper hostile dans lesquels ils sont plongés a fait perdre la raison aux protagonistes qui sont censés être retrouvés. Ils ne veulent plus rentrer chez eux et ont trouvé une sorte de refuge loin de la civilisation. Que cela soit la jungle ou l'espace, c'est un endroit où les repères sont totalement brouillés et où on perd son identité, le milieu dans lequel on est immergé transforme notre conscience et nos pensées, ce qui peut expliquer un tel comportement.


Pour terminer, la voix off de Roy dans Ad Astra et celle de Willard dans Apocalypse Now, qui structurent le récit et permettent de mieux comprendre leur ressenti sur la mission qui leur est confiée, ainsi que leurs craintes (notamment vis à vis de la rencontre finale tant attendue) et l’effet qu’elle a sur eux est un élément qui complète ce propos. Roy a le sentiment d'être passé à côté de sa vie et c'est son père qui en est responsable du fait de son absence. C’est ce côté introspectif qui est l’un des grands points forts d’Ad Astra, qui nous place au coeur de l’intimité de l’astronaute campé par Brad Pitt.



Un film à la fois inspiré et personnel



Sinon, au-delà de la comparaison avec ce chef d’oeuvre, j’ai trouvé qu’Ad Astra était un très grand film, qui puise aussi son inspiration dans les meilleurs films de science-fiction des années 2010. Il est inévitable de penser à de nombreux excellents métrages quand on visionne Ad Astra : l’explosion du début et le retour sur la Terre à la fin, tout comme les acrobaties dans l’espace, font penser à Gravity, la photographie magnifique, en particulier les passages sur la Lune et sur Mars, rappelle celle de Blade Runner 2049 (qui d’ailleurs met aussi en scène un personnage principal en quête d’un père et d’une identité), les déplacements jusqu’aux confins de l’espace et le souci de véracité au moins visuelle citent Interstellar, le côté intimiste et la relation touchante entre un enfant et son père rappellent First Man… Mais ce n’est pas parce qu’Ad Astra s’inspire de tous ces films qu’il n’a pas sa propre identité, loin de là.


James Gray a un côté moins tape à l’oeil qu’un Cuaron ou qu’un Nolan, certes, c’est peut-être ce qui lui porte préjudice en termes de notoriété et de box-office. Ainsi, l’émotion est plus facilement mise de côté devant Ad Astra comparée à celle d’Interstellar, qui se veut plus grandiose, plus spectaculaire, bien aidé par la partition de Zimmer alors que celle de Richter déçoit (mais plus par sa discrétion que par sa qualité intrinsèque, certainement voulue par le réalisateur par ailleurs). Le chef d'oeuvre de Christopher Nolan apportait également un plus indéniable, le rapport au temps (la théorie de la relativité) et le double-enjeu qui est tout d’abord celui de l’amour d’un père pour sa fille et la peur de ne jamais se revoir, mais également la nécessité du voyage pour sauver la planète. Ici, on est dans un drame plus intimiste, où l’enjeu est moins palpable. Le fait qu’on trouve ou non une trace de vie extraterrestre n’a en effet pas d’impact sur la survie de l’humanité, il s'agit avant tout de détruire les traces du projet Lima et stopper les effets néfastes qu'il a sur la Terre et éviter que cela empire. Evidemment il est donc question de sauver l'humanité en filigrane, mais les enjeux se resserrent rapidement autour du père et du fils. Le personnage de Brad Pitt est intéressant car justement c’est un homme ordinaire, pas un héros, qui cherche simplement à retrouver son père et connaître la vérité sur son histoire. Comme le témoigne sa relation amoureuse assez tumultueuse pour ne pas dire un échec, Roy est perdu et a besoin de savoir ce qui s’est passé pour pouvoir au moins faire son deuil et recommencer à vivre. Sa réussite continue aux tests psychologiques n'est qu'un cache-misère. L'interprétation de Brad Pitt est d'ailleurs parfaite, dans un registre tellement différent de son précédent film, Once Upon a Time... in Hollywood, qui prouve qu'il sait tout jouer. Il réussit à transmettre toute l'émotion nécessaire même à travers son casque et les plans sans cesse resserrés sur lui et son visage, qui est presque l'outil unique à sa disposition pour nous toucher.


Le dernier acte du film est splendide. Beaucoup de critiques sont catégoriques sur le fait que le métrage nie l'existence d'une vie extraterrestre et que c'est pour ça qu'il faut retourner sur Terre et profiter pleinement de ce qu'on a. Personnellement, je ne peux pas m'empêcher de croire que le film laisse planer le doute sur la lueur que Roy aperçoit au loin : ce n'est pas si clair qu'il s'agisse de son vaisseau émettant cette lumière, aucun plan ne le confirme et j'ai vu le film deux fois. La présence d’une vie extraterrestre peut être ainsi suggérée, les plus croyants d'entre nous (et on sait que James Gray en fait partie) y verront peut-être une intervention divine pour guider Roy vers sa destinée. D'autant qu’il peut s’agir aussi d’une hallucination, tellement la solitude et l’absence de gravité peuvent avoir un impact énorme sur le cerveau à cette distance si éloignée de la Terre. Le passage où Roy se dirige vers le vaisseau avec une planche (qui a dit qu’on avait retrouvé le Surfeur d’Argent ?) est sûrement le plus beau passage du film, mais en même temps le climax reste assez contenu, ce qui n’est pas plus mal et assez caractéristique chez James Gray, qui apparaît plus que jamais comme le cinéaste de la retenue.



Ad Vitam ?



En bref, il est évident que le film prend de grandes libertés avec le souci du réalisme scientifique, mais même Interstellar qui cherchait à s’en rapprocher propose une fin qui va totalement à l’encontre de ce principe. Les déplacements dans Ad Astra semblent extrêmement rapides et surtout ne seront certainement jamais possibles, ne serait-ce que pour une question de température et d’éloignement par rapport au soleil. On regrettera également le manque de développement de certaines thématiques intéressantes sur l'exportation des problèmes terrestres sur d'autres astres ou planètes. Mais là n’est pas la question, le cinéma est là avant tout pour nous faire rêver, et grâce à Ad Astra, j’ai vraiment eu la tête dans les étoiles pendant deux heures. First Man avait déjà placé la barre très haut en termes de drame spatial introspectif, Ad Astra sublime carrément cette catégorie et vient peut-être l’accompagner dans le lancement d’un nouveau genre. Rentrera-t-il dans l'histoire des meilleurs films de science-fiction ? Seul l'avenir nous le dira.

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le 28 sept. 2019

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Albiche

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