Deux femmes
La sélection Un Certain Regard avait mis l’accent, l’an dernier, sur les histoires de femmes, et particulièrement de femmes brisées en quête de reconstruction. Adam partage ainsi de nombreux thèmes...
Par
le 12 juil. 2020
14 j'aime
5
Projeté le même jour que Portrait de la jeune fille en feu, mais dans la sélection Un Certain Regard, Adam de la réalisatrice marocaine Maryam Touzani prolonge à sa façon le female gaze revendiqué par Sciamma. Film d’une femme sur les femmes, le récit s’inscrit dans l’échange central entre les deux protagonistes : la première, veuve élevant sa fille en tenant une boulangerie, affirme après avoir révélé qu’elle n’avait pas pu dire adieu à son mari, que « la mort n’appartient pas aux femmes » ; « Peu de choses leur appartiennent » répond la plus jeune qu’elle a recueillie, fille mère célibataire déterminée à accoucher en cachette de ses parents, abandonner l’enfant avant de retourner au village de ses parents la réputation intacte.
Les hommes sont donc au dernier plan : esseulées, les femmes vont se joindre dans l’adversité, non sans quelques difficultés. Le récit fait le pari la lenteur et des silences, explorant d’un bout à l’autre du spectre des émotions contradictoires : une grossesse non désirée, celle un deuil non résolu, et des femmes qui tentent de les conjurer dans le travail manuel. Celui-ci occupe une large place, dans cette échoppe au sein d’un rue grouillante de vie, enclave propice aux clairs-obscurs qui s’attarde sur les mains et leur contact aux matières, farine, huile, graines, pour ces artisanes nourricières du quartier.
Cette ambivalence traduit avec tact la richesse des portraits : Alba, femme dure (qui nous permet d’enthousiastes retrouvailles avec Lubna Azabal, l’inoubliable interprète de Nawal dans Incendies de Villeneuve) a blindé son cœur, et apprend autant la solidarité, la dignité que l’endurcissement à Samia, qui n’envisage pas un seul instant de sortir des rails de la tradition, et se prépare à un autre deuil, celui de l’abandon. L’extérieur pèse ainsi constamment, à l’image de cette séquence de fuite dans la ville qui donne à voir une misère et un désarroi loin des cartes postales orientalisantes, ou de cette maladroite cour qu’un client fait à la patronne.
Film de la réconciliation, Adam explore les différentes stratégies de l’acceptation : transformer le chant douloureux du souvenir en danse émue, le fardeau de la naissance en une rencontre, et affronter le regard de la foule par la conviction intime d’avoir le droit de vivre. Par son travail, avec ses sentiments, trouvant dans la féminité la force et la dignité qui font si souvent défaut au monde.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Portrait de femme, Les meilleurs films qui parlent de nourriture, Les meilleurs films réalisés par des femmes, Vu en 2019 et Vu en salle 2019
Créée
le 5 févr. 2020
Critique lue 2.5K fois
32 j'aime
5 commentaires
D'autres avis sur Adam
La sélection Un Certain Regard avait mis l’accent, l’an dernier, sur les histoires de femmes, et particulièrement de femmes brisées en quête de reconstruction. Adam partage ainsi de nombreux thèmes...
Par
le 12 juil. 2020
14 j'aime
5
Journaliste, actrice, coscénariste de Razzia, tourné par son mari Nabil Ayouch, Maryam Touzani a déjà réalisé deux courts-métrages et un documentaire. Son premier long, inspiré par un fort souvenir...
le 5 févr. 2020
7 j'aime
Article original sur Le mag du ciné. Le Maghreb a offert de très beaux films à Cannes cette année. Après Papicha, place au premier pas de la Marocaine Maryam Touzani en réalisatrice avec Adam,...
Par
le 21 mai 2019
7 j'aime
1
Du même critique
Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...
le 6 déc. 2014
774 j'aime
107
Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...
le 14 août 2019
715 j'aime
55
La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...
le 30 mars 2014
617 j'aime
53