Monsieur, Godard, JLG, Jean-Luc,

Je ne sais pas vraiment comment vous appeler, vous qui m'avez fait aimer le cinéma et avec qui je lie une amitié depuis quatre années je pense, sans même que vous la liez avec moi. Une amitié sans retour c'est pas grave, si vous l'êtes un jour. Parce que Monsieur, je me suis préparé comme pour un opéra de Puccini, pour voir votre "meilleur film", votre simple valse dites-vous. Et parce que Monsieur, on va à l'opéra comme à un enterrement, je me demande simplement: Partez-vous vraiment?

Vous dites que vous n'êtes plus ici, plus là ou l'on pense que vous êtes. C'est vrai. Adieu au langage est votre ultime poème, peut-être même le premier. Je vous aime, je vous aime infiniment mais je dois vous le dire. Vous avez surement jamais fait de poème avant, mais plutôt toujours de la poésie.
Finalement je vous appelle Monsieur parce que Godard c'est le mythe, c'est ce que vous n'avez jamais été mais que vous êtes quand même. Pardonnez nous. Et puis, moi ça me fait rire, le mythe, le festival, les huées, les hommages. Et puis Je vous salue Marie, c'était drôle aussi. Comme c'est loin déjà, et si ça me parait loin c'est que je n'existais pas.

C'est quand même beau tout ça, ce film, ce film à l'équipe technique de deux personnes. Ce film récompensé, à l’équipe technique de deux personnes. Ce film singulier, seul et libre (vraiment libre...). Mais c'est aussi votre film le plus triste. C'est un film qui va vite, ne laissant pas de repos, émouvant, amusant mais aussi désespérant et perturbant. Oeuvre misanthropique d'une époque dans laquelle vous ne vivez pas vraiment, mais dont sa compréhension vous fait souffrir surement. C'est pareil pour tout le monde Monsieur, mais de vous c'est incroyable.

C'est incroyable parce que vous êtes un homme de votre temps, de votre temps même. Pas ce temps universel, putassier, mais celui dont vous avez compris qu'il est à chacun différent. Alors, ça pourrait paraître logique d'être à ce que nous créons ceux qui gouvernent mais vous avez aussi compris que la création mange parfois son créateur, le domine. Création artistique, ou technologique. Vous l'avez compris parce que vous l'avez vécu sans le vivre, dans le temps des autres. Ceux qui se partagent du temps, de l'espace. Mais pas ce partage là, plutôt celui qui ressemble à une guerre, à votre Sarajevo. Enfin, si je dis ça c'est parce que votre propos mange un peu vos personnages, mais vous les détestez ces personnages alors... et aussi je dis ça parce qu'à la première séance, ce qui m'a le plus perturbé c'est que vous ne semblez plus vraiment vouloir partager non plus. Mais au final, il est bien là le partage, nouveau, jeune et malin. Vous nous taquinez, amicalement c'est certain, nous les curieux, les critiques, les adeptes, les paumés.

Pour en revenir exactement au film, même si il est l'éternel propos, je n'avais jamais vu un film aussi juste je pense. Aussi libre. Aussi seul, grand (comme vous Monsieur). Grand parce que difficile, parce que juste (il faut répéter les choses deux fois pour les faire entendre, vous appliquez cette théorie Hitchcockienne dans Adieu au langage) mais aussi parce qu'il est répugnant. Vraiment, le côté "scato" et porno comme disent les journalistes est dérangeant, parce que c'est définitivement juste, bien placé. N’empêche que ça fait rire dans la salle, et moi j'ai trouvé ça beau d'entendre rire tout ces gens. De la moquerie ou de l'amusement, peu importe. Votre film est aussi un film amusant, taquin, vous jouez avec nous, vous vous jouez de nous. Mais c'est surtout un film qui cogne, fait mal un peu partout et réveille les angoisses. Le chaos est anxiogène (j'ai eu du mal à respirer à partir du "bientôt nous aurons tous besoin d'un interprète pour comprendre ce qu'on dit" jusqu'à la fin du film). Ce film est grand par son propos donc, mais aussi cette réalisation, la votre, qui est toujours plus inventive dans des années toujours plus restrictives pour la création nouvelle. J'ai été très bouleversé par cette utilisation de la saturation, qui pourtant n'est pas nouvelle dans votre travail.. Et puis... Cette utilisation de la 3D. Cette rencontre était tellement logique que personne n'y a pensé. Godard et la 3D. Cela vous permet évidemment de continuer et même dépasser la révolution commencée avec A bout de Souffle. Fermer un œil, fermer l'autre. Deux film, le même film. Deux plans, un seul plan, ils se séparent, ils se rejoignent. J'aurais sérieusement pu chialer comme un gosse lorsqu'il se retrouve pour la première fois au pied de la grande roue. Vous êtes un génie, un jeune réalisateur. Un punk, c'est beau, c'est beau. Et votre film. Un vrai poème votre film. Enfin voilà, je ne voudrais pas lécher des bottes que vous ne portez pas, dans l'ensemble de cette lettre en quelque sorte d'amour que personne ne lira puisque elle est, dans l'écriture, de moi à vous mais dans l'espace perdue ici, n'importe où, ne vous parvenant pas, dans cette lettre pleine de questions je dis (aussi) que vous me bouleversez. C'est aussi ça le cinéma.

Alors voilà, c'est fait. Jane Campion vous a choisi pour le prix du jury, partagé avec Xavier Dolan. Surement parce qu'elle savait que vous auriez été malade de recevoir un prix spécial, comme pour Resnais, parce qu'elle a compris que vous étiez un homme libre et que les hommes libres doivent être récompensé mais pas jeté dans la foule ou aux lions. Discrètement, vous rayonnez. Elle l'a d'ailleurs dit: "voilà un homme vraiment libre".

Vous êtes un homme libre, Monsieur, détaché des corps étrangés, inutiles, des corps de cette décennie et de la précédente. Et je vous admire, Monsieur. D'abord parce que vous m'avez fait aimer le cinéma alors que je n'aimais que les films, et puis parce que des hommes libres, vraiment libres, il n'y en a pas beaucoup.
C'est drôle parce que votre film est un film de misanthrope et que je suis ressorti du cinéma aimant d'avantage les hommes, prenant conscience de façon définitive que vous êtes grand et que peut-être d'autres le seront. C'est un film désespérant qui créé malgré tout un espoir, et c'est dégueulasse l'espoir mais je ne suis pas assez courageux pour ne plus être instinctif.

J'ai énormément pleuré dans mon siège rouge (à la deuxième séance), il faut dire que votre film m'a vraiment transcendé. Mais ce qui m'a le plus déchiré, Monsieur, c'est que dans la rue au bus et du bus au bar, je n'ai plus cessé de pleurer. Surement parce que j'ai compris en sortant de la salle que je venais de voir et d'entendre ce que je cherchais un peu partout dans la littérature et le cinéma, parce que c'est vous qui me l'avez montré et fait entendre, que dans notre amitié non partagée, nous partageons finalement tout. Vous m'avez montré le film le plus singulier et le plus représentatif dans mon approche du cinéma. Et aussi parce qu'il semble être le dernier, parce que vous semblez dire au revoir à votre langage. Le cinéma.

De toute façon, qu'il soit le dernier ou que vous ayez fait exprès, tout à commencé pour moi avec Pierrot le Fou. Pas simplement mon amitié pour vous mais aussi mon amour douloureux et heureux (tendre et cruel avez vous fait dire à Belmondo) pour le cinéma. Tout a commencé avec Pierrot le fou et tout semble se finir avec Adieu au Langage. Peut-être pas se finir mais plutôt éternellement s'accomplir, nous laissant, à nous, le choix de comprendre votre propos, le notre. Le choix de tout changer, de tout détruire. Et surtout de créer. Et enfin, de la reflexion, celle qui renvoie à la solitude et au royaume intérieur. Mais c'est plus fort que tout, je me demande quand même, votre langage est il mort ou disparu? C'est seulement à un autre que vous dites adieu n'est-ce pas? Rassurez moi Monsieur, parce que ce serait comme un suicide. Le cinéma qui se taille trois veines, se tait trop longtemps, se coupe une oreille, s'étrangle gentiment. Ce serait terrible.

Si je demande c'est parce que, encore une fois (la dernière?), votre film est si grand et beau mais triste Monsieur, comme le monde, que ça me fait un peu déprimer c'est vrai. Je me dis que votre poésie me manquerait, et c'est devenu pour moi et toutes mes amitiés non partagées Notre Musique.

Voila, c'était mon éloge à moi de l'amour, de quelque chose. Pour vous, 13 ans après la votre. Ma façon de remplacer l'attente enfantine d'une réponse aux lettres envoyées avec espoir tous les mois de décembre à un homme barbu par l'attente amicale et espérée d'une réponse à une lettre publiée un mois de mai, pour un homme barbu. Nous partagerons alors quelque chose de plus, l'importance de ce mois là, il n'y a au final que 46 années qui séparent nos raisons de chérir ce mois (je suis loin des 2x50 ans de cinéma).

Vous avez dit, ou vous dites, que l'image du silence c'est la neige qui tombe sur l'eau. Ce serait con d'être seulement le flocon et pas le lac non? ou alors le lac, juste le lac. Soyez les deux et soyez mortel aussi, mais sans dernier mot.

J’attendrais toujours.
FlorentMarotel
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le 30 mai 2014

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Florent Marotel

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