Pour une partie des festivaliers présents à la projection officielle, c'est sans doute le grand oublié du palmarès 86 ! Pourtant, à Cannes, entre Cinéma et Diplomatie, ce ne sont pas les prix de consolation qui manquent !
Donc, pas de récompense pour Youssef Chahine, talentueux cinéaste figurant au nombre de ceux qui ont le plus contribué à faire sortir le cinéma du Tiers-Monde d'un injuste ghetto artistique.
Pas de prix d'interprétation pour Michel Piccoli, pourtant une fois de plus génialement surprenant en général d'Empire à l'humanisme aussi bancal que sa démarche : il a perdu une jambe au hasard d'un champ de bataille !
Pas de prix, non plus, pour Patrice Chéreau, qui se partageait alors de plus en plus entre Théâtre et Cinéma, campant avec un sens aigu de la dérision l'un des plus célèbres personnages de l'Histoire de France. En jouant avant tout d'une étonnante ressemblance physique : pour "Adieu Bonaparte", fresque très ambitieuse qui représentait l'Egypte au sein de la sélection officielle, Chéreau n'a eu, en effet, aucun mal à se faire la tête de celui qui, à l'époque, venait de se couvrir de gloire avec sa fameuse campagne d'Italie.
Mais pour l'Egyptien Youssef Chahine, c'est bien entendu le Bonaparte venant façonner son propre mythe au pied des pyramides millénaires qui se devait d'être évoqué. Pas sous l'angle allégorique, mais plutôt avec le mordant de crocodile du Nil ! En proposant sa vision délibérément partiale de la campagne d'Egypte, le cinéaste stigmatise à la fois le caractère colonisateur de l'équipée militaire du héros d'Arcole et sa déjà très évidente mégalomanie. On a droit, cela va sans dire, aux circonstances plutôt rocambolesques qui auraient présidé à l'énoncé de la fameuse tirade : "Du haut de ces pyramides...".
L'arrivée du corps expéditionnaire français, la honteuse destruction de toute la flotte par les Anglais dans la rade d'Aboukir, l'attitude d'abord nuancée puis de plus en plus autoritaire des soldats (futurs Grognards de l'Empire) à l'égard de la population... Tout est vu, de manière intimiste, à travers les yeux de deux adolescents égyptiens tiraillés entre l'attachement profond à leur culture ancestrale et la fascination que leur inspire cette culture française (occidentale) s'imposant à eux.
Avec pour personnaliser ce choc entre deux réalités humaines tout à fait à l'opposé l'une de l'autre, le général Cafarelli. Oui, c'est lui, la Grande Figure du film, et non Bonaparte ! Cafarelli, c'est "l'homme blessé" (merci Chéreau, pour l'inspiration de ce titre clin d'oeil !), doublement. Au propre comme au figuré : on le découvre unijambiste et, finalement, après avoir ressenti toutes ses blessures intérieures comme humaniste s'étant fourvoyé dans le pseudo idéal militaire, on le voit agonisant et ne pouvant plus tendre qu'une seule main à son jeune protégé. Qui lui lance l'ultime provocation affectueuse...
Grand Piccoli, qui ajoute un nouveau rôle magistral à toutes ses compositions hors-normes. Et c'est à cause de William Hurt qu'il a dû dire "adieu" au Prix d'interprétation masculine !