Je pense qu'il est possible et même important de faire de l'humour à partir de tous les sujets, y compris des pires crimes, y compris des religions, y compris des LGBT+, y compris des handicapés, etc. Je ne crois pas qu'il y ait de tabou en humour. Cependant, l'humour noir demande 3 fois plus de travail que n'importe quel autre type d'humour parce qu'il ne s'agit pas seulement de faire des blagues, mais de comprendre son sujet et de contourner tous les pièges qui peuvent rendre offensantes les blagues les plus anodines. Nous voilà bien mal partis puisque l'artiste admet lui-même ne plus rien y comprendre.
Dans la pride, deux hommes gros portent un t-shirt : "On est gros, on est pédés, on est des gros pédés." Ca me fait rire parce que ça vient d'eux, c'est de l'autodérision. La même phrase venant de quelqu'un d'autre deviendrait choquante car pour être drôle, l'humoriste doit lever toute ambiguïté, il ne doit pas me laisser le moindre doute sur le fait qu'il ne rit pas contre les personnes concernées, mais avec elles. Aujourd'hui, le symbole du "on pourrait plus dire ça aujourd'hui" est le sketch de Desproges : "On me dit que des juifs se sont glissés dans la salle". Je pense que ce sketch pourrait être joué aujourd'hui ; peut-être serait-il poursuivi par quelques associations, mais pas inquiété. La raison est simple. Ce que dit Desproges sur scène est tellement absurdement raciste que personne n'a jamais pu avoir l'idée de tenir ces propos sérieusement, c'est ça le ressort comique de ce sketch. On ne rit pas des juifs, mais on rit ensemble du personnage qui tient un tel discours. Je rejoins Jérémy Ferrari qui disait dans une interview que si tu fais une blague qui est à 80% méchante, c'est trop crédible. Il existe des personnes qui pourraient avoir sérieusement ce genre de discours, si ta blague est méchante à 200% ça devient absurde, il n'y a plus aucune ambiguïté ; on peut ne pas aimer, penser que ça va trop loin, mais on comprend que seul un personnage de fiction pourrait dire de telles énormités. Le problème de Fabrice Éboué, c'est qu'il ne va pas assez loin. Il dit certaines choses comme des blagues, mais il se trouve que ces choses, je les ai déjà entendues de la bouche de racistes, de masculinistes, etc.
Il y a une séquence dans laquelle Fabrice Éboué nous explique que, quand même, quand un homme invite une femme à boire un verre dans sa chambre d'hôtel, c'est égal à des avances sexuelles et si elle accepte de le suivre, elle serait bien malhonnête de ne pas faire l'amour avec lui. La question des VSS est un sujet sensible mais encore une fois, si c'est bien fait, ça peut me faire rire. A mon sens, le sketch n'est pas du tout maitrisé. Il me renvoi, par exemple, à la défense du Bouseux Magasine quand, accusé d'agression sexuelle, il se déresponsabilisait en affirmant que, quand même, elle l'avait suivit dans sa chambre d'hôtel, et qu'elle était bien malhonnête d'avoir voulu faire marche arrière. Dans le sketch, la femme en question est la cible de toutes les blagues, il se trouve que ces blagues pourraient ne pas en être, le résultat participe à la culture du viol.
Sujet propice, il y a des blagues sur la transidentité. Je les lisais déjà en 2018 quand Twitter se moquait d'une personne qui, dans l'émission de Daniel Schneidermann, affirmait ne pas être un homme. "Et moi je suis un hélicoptère apache" disait-on alors. J'en avais ri à l'époque, une fois. Peut-être en rirais-je encore si cette blague n'était pas complétement éculée (même en 2022). Remplacez l'hélicoptère par un dragon ou Pikachu, c'est pareil. D'ailleurs, bravo à Notserious pour ce passage de sa dernière vidéo, c'est très drôle et diablement bien vu, j'aime l'idée d'en faire une blague tellement essorée qu'elle devient source de moquerie envers l'humoriste qui ose les faire, c'est le signal qui montre qu'il s'est contenté de dire les premières vannes qui sont est venues à l'esprit. Ce n'est pas ce que j’attends d'un spectacle d'humour écrit, rejoué, rôdé.
Je ne dit pas que Fabrice Éboué est transphobe, sexiste ou homophobe, c'est un humoriste apprécié qui m'a fait rire sur d'autres sketchs, beaucoup d'extraits de ce spectacle circulent sur les réseaux sociaux et les retours sont positifs, le public avait l'air très réceptif, le résultat n'en reste pas moins problématique à mon goût. Ce n'est pas parce qu'un humoriste rempli ses salles et les fait rire qu'il ne faut pas se questionner sur les conséquences possibles de ses propos, ce n'est pas parce que c'est de l'humour qu'il faut le prendre à la légère.