Premier ciné de l'année 2021...Enfin !
Un couple mal assorti, improbable, de désespérés se retrouve lancé dans une course folle, effrénée, dramatique, une véritable fuite en avant. Ils n'ont rien cependant des Bonny and Clyde, espérant faire encore le bien jusqu'à leur dernier souffle. Suze a une maladie pulmonaire incurable - c'est tellement d'actualité - qui a abandonné il y a trente ans un enfant qu'elle avait eu à quinze ans et qu'elle cherche désespérément, Jean-Baptiste est un informaticien solitaire que l'administration placardise et pousse dehors et au suicide. Les deux personnages, par un improbable coup du sort, un suicide raté qui vire au drame avec une vraie brutalité, vont former un duo pour aller au bout de leur quête, dont on sait qu'elle sera évidemment fatale.
Il y a chez Dupontel quelque chose de Godard, une sorte de radicalité, un jusqu’au boutisme. Son film est un peu dans la veine de Pierrot le Fou, une fuite en avant délirante, absurde, libertaire, politique. Je ne m’attendais pas à voir un film aussi militant, dans l’air du temps, avec un propos sans concession et une fin brutale et désespérée. Car à l'inverse de l'esprit soixante-huitard, optimiste, libéral, l'esprit de révolte actuel est celui d'un rêve impossible, qu'on accède que par la mort. Les films actuels, traitant de ce thème largement, dresse le même constat amer et sans espoir.
A ce titre, il ne faut pas oublier le contexte de ce film qui suite dans une période très politique et révoltée, des gilets jaunes au Covid, périodes troublées, aux libertés foulées. D’ailleurs, d’emblée le film se veut anti-police, libertaire, presque anarchiste. L’Etat y est mis à mal, tant sa police que son administration, peuplée d’incapables, responsable d’impérities et de bavures ineptes. Le portrait de l'administration ici est caustique, ubuesque, avec ces bureaux informes, cette langue de bois, cette fadeur des open space, livrant quelques scènes drolatiques qui ont leur part de vérité (étant fonctionnaire, je suis forcé de l'admettre). Il y a aussi beaucoup de choses sur le monde médical, pas étonnant quand on sait les études médicales de Dupontel et le réalisateur n'est pas tendre avec ce milieu (écriture médicale, jargon, analyses fumeuses, organisation tentaculaire des hôpitaux).
Dupontel livre d'ailleurs un film qui se place dans un Paris semi-fictif, quelque peu futuriste, où le patrimoine disparait sous les bureaux, les grattes-ciels, où tout est rasé, le capitalisme venant dévorer la vie d'autrefois, venant détruire l'ordinaire. Jean-Baptiste, informaticien, peut depuis son ordinateur, contrôler tout, mais il n'a pourtant aucun contrôle sur sa vie. Les personnages sont eux aussi dévorés par les écrans, enfermés dans des bulles de filtre, des réalités parallèles, à tel point qu'on écorche en permanence leurs noms, signe d'une déshumanisation. La quête des deux personnages principaux c'est recoller au réel, de réparer les vivants, de revenir au fondamentaux, d'anéantir la bêtise, de lancer un doigt d'honneur aux cons.
Mais Dupontel n’est pas Godard. Dupontel est d’abord un comique et sur la forme son film prend l’allure d’une comédie, truffée de bons mots et de situations loufoques. Dupontel est aussi bien plus simple et c’est l’énorme force de son film. Il respire la sincérité et la simplicité, quitte à aller dans le bon sentiment et presque le mélodrame, quitte à être naïf et appuyé. Mais c’est cette simplicité même qui est une force, Dupontel parvenant à toucher le spectateur avec des effets sans esbroufes. A ce titre, il peut compter sur son casting, dont Virginie Efira que j’ai trouvé particulièrement touchante et juste. Nicolas Marié, en archiviste aveugle, aux airs de Gilbert Montagné, est également un excellent Side-kick, apportant de la légèreté à l'ensemble, participant aux meilleurs moments du film (la scène où il touche le visage de Suze puis de Jean-Baptiste est belle) mais lui-même est un révolté, détestant la police, se décidant finalement à affronter sa peur. Il y a aussi ce personnage de gynécologue devenu amnésique (Jackie Berroyer), qui en quelques scènes devient profondément touchant en retrouvant quelques bribes de mémoire. Les acteurs venus pour quelques scènes sont également toujours aussi bons, avec des gueules pas possibles, Dupontel réutilisant ses acteurs habituels et sa bande (Vuillermoz, entre autres...) pour quelques passages truculents.
Il y a toujours chez Dupontel un air de Jean-Pierre Jeunet, semi-loufoque, semi-comique, semi-fantastique, avec une mise en scène léchée, des parenthèses, des apartés, un souci du secondaire, des détails et des effets de style, caméras sinueuses, aériennes, quelques effets spéciaux, permettant d'appuyer le message du film sur la technologie, sur la politique, sur les rapports sociaux.
La révolte gronde, la poudre est dans l'air du temps. Le film de Dupontel, sous ses allures comiques, n'est pas joyeux. Son sujet est lourd, pesant. Dupontel est radical, jusqu'au-boutiste, jusqu'au dernier souffle, celui mortel de Suze, qui crache du sang. Les personnages n'ont rien à perdre. Ils trouvent un accomplissement dans la révolte (c'est très camusien). Ils s'élèvent, face à l'arbitraire, face à l'absurdité, face à la connerie. La fin est extrême, une impasse macabre, un peu à la manière des Misérables, film sorti en 2019. Suze, tenant dans ses bras Jean-Baptiste, le couple étant arrivé au bout de sa quête, pointe un pistolet sur la police qui les encercle en criant "adieu les cons", dernier souffle. Le film s'éteint sur le bruit funeste des fusils et des mitrailleuses.