"La saveur de la vie n'est que pour les fous" (SPOILERS)

Dès la bande annonce, cette étincelle de vie qui anime les images de Dupontel m'avait intrigué, me procurant de l'énergie rien qu'au visionnage, sublimé par la très appropriée musique Mala Vida de Mano Negra ainsi que par son montage savamment rythmé. Après l'émouvant Au revoir là-haut, je ne pouvais qu'être sûr du talent de son réalisateur et me rendre sereinement dans les salles obscures, avide de sentiments.


Commençons par pointer du doigt l'excellente réalisation d'Albert Dupontel qui n'a désormais plus rien à prouver. Mieux, il tente, expérimente, fait vivre sa caméra et son cadre comme jamais auparavant. Plusieurs de ses plans (pas mal étaient déjà présents dans la bande annonce) deviennent instantanément cultes et participent à sublimer les personnages dans leur originalité et dans leur personnalité non-conventionnelle. La mise en scène s'avère donc très soignée, précise, dynamique, s'autorisant des fulgurances rafraichissantes bienvenues, que ce soit au niveau de la composition que des mouvements de caméra. Le spectateur n'a pas le temps de s'ennuyer lors des 1h30, l'impression de cavale venant même contaminer son expérience spectatorielle en l'intégrant dans cette course-enquête effrénée.


J'en viens maintenant à la grosse qualité du film: son rythme. Qu'il soit question de construction de gags, de durée de plans ou de structure narrative, la gestion du rythme y apparait comme quasi-parfaite, à condition bien sûr d'accepter le style absurde et tout sauf subtil de Dupontel. Ce rythme soutenu participe à alimenter l'engrenage sur-vitaminé dans lequel sont pris les personnages, prisonniers de la société, malmenés d'un bout à l'autre de l'intrigue telles des marionnettes sorties de leur spectacle. Mais ce ne sont pas les seuls à être à la dérive, le film mélange également les différents tons et genres cinématographiques, mixe le tout pour en ressortir un cocktail hybride, une comédie dramatique absurde et satirique par moment où le hasard semble dicter les actions. Dupontel développe un jeu sur les tons, arrivant à nous faire (sou)rire à partir de scènes tragiquement grave. C'est en partie dû à ses personnages non-conformes, inversant les valeurs et les moeurs que l'on avait ancré en nous lors de notre arrivée dans la salle obscure. Pouvoir ôter ces menottes qui nous rattachent à ce monde terre à terre (encore plus important en ce moment) et nous faire devenir nous aussi, spectateurs crédules, à la fois marginaux, hors-la-loi et originaux pendant ce court laps de temps, c'est fort, très fort...


Cette puissance émotionnelle que dégage l'oeuvre, arrivant aisément à passer du rire au pleurs en une fraction de seconde, provient principalement de l'écriture et notamment de la gestion de ses trois personnages principaux. Tous trois victimes d'injustices, ils sont chacun introduits avec le même dispositif (caractérisation immédiate de leur caractère à travers leurs mimiques, gestes et réactions puis révélation d'un passé et enfin fuite de leur "rôle"), établissant d'emblée un lien fort entre ces personnes atypiques, ne correspondant plus aux carcans de la société. Personne ne semble les comprendre ni même connaitre ce qu'ils recherchent (archives), comme s'ils n'étaient plus à la bonne époque et que la technologie avait inhibé toute trace de leur vie. Albert Dupontel accentue ce jeu entre les générations en mettant en scène la "relève" en terme de comédie, à savoir le PalmaShow jouant les ignorants des archives ou le comique de la chaine Youtube Bref en médecin décadent.
J'aime l'errance de Suze, JB et M.Blin, nageant au milieu de péripéties toutes plus farfelues les unes que les autres. L'énormité des situations face aux enjeux des personnages fait émerger un absurde inattendu et assez jouissif, surtout que l'intrigue se redirige finalement vers l'intime.


Néanmoins, quelques petits défauts ne peuvent passer inaperçu et handicape certains fragments du long-métrage. Il y a tout d'abord l'utilisation trop fréquente du don du personnage de Dupontel, génie en informatique, servant de passerelle narrative face aux problèmes installés dans les différentes péripéties. Ou encore cette soudaine coïncidence du médecin qui retrouve la mémoire juste à temps pour prévenir les personnages, comme si l'absurde englobant l'histoire servait certaines fois d'excuses à des facilités scénaristiques restant trop exagérées pour passer inaperçues. Il n'empêche que cette curieuse digression (retrouvailles émouvante avec sa femme) étonne et reste plutôt efficace, donnant comme dans Au Revoir là-haut cette impression d'un véritable univers filmique.
Je trouve ensuite que la relation amoureuse entre Suze et JB n'est pas assez ambigu pour que l'on puisse accepter si facilement le baiser final, que je trouve gâché dans sa représentation et son tempo. Enfin, une véritable fin pour l'arc narratif de M.Blin aurait été appréciable, lâché au simple rang de spectateur qui doit imaginer la tragédie qui se déroule devant lui (idée très belle mais pas assez appuyée pour pouvoir marquer les esprits).


Je finirais cette critique par acclamer la vision de vie de notre cher Dupontel, mettant en scène des personnages qui sont littéralement malades de vivre dans un système injuste et uniformisé, où l'humain, l'affect et surtout la folie sont réprimés jusqu'à disparaitre complètement de leur entourage. Suze et JB parviennent finalement à donner du sens à leur vie hors-norme en rassemblant le jeune informaticien avec celle qu'il aime dans un endroit aussi stéréotypé que l'ascenseur. Cette séquence est intéressante dans la manière dont elle fait passer les personnages principaux, jusque là au coeur de l'action et sans cesse en mouvement, dans une position de spectateur tout en établissant une mise en abime du cinéma (avec l'idée de projection du désir et de contact avec la matière filmique lorsque l'on visionne un film dans une salle de cinéma). Le thème de la mémoire, des souvenirs est au coeur du voyage initiatique de Suze, interagissant avec une elle-même plus jeune dans des scènes tout droit sorties du cinéma de Klapisch. Cette question de l'empreinte que l'on peut laisser dans une société où tout est informatisé est d'ailleurs plutôt saisissante, se déclinant de différentes manières selon les personnages. Dupontel met en scène une véritable race éteinte de fous, de "bons vivants" croquant la vie à pleines dents et n'hésitant pas à confronter la police, ici complètement ridiculisée et représentée telle une parodie. Ce n'est pas la police qui est particulièrement visé mais le système entier, les policiers constituant une entité représentative de notre société n'acceptant pas les marginaux, les personnalités dissidentes sortant de l'uniformisation totale de notre soi et donc des limites établies par les "grands" de ce monde.


Ainsi, le sacrifice des personnages ne sonnent pas comme une défaite. Après avoir réussi à rassembler le jeune informaticien et sa collègue, Suze et JB préfèrent mourir la tête haute avec leurs idéaux, prônant le partage et le contact humain dans un quotidien où l'écran sépare les êtres pour mieux les isoler dans leur rôle. Avec Adieu les cons, Dupontel livre sa philosophie de vie, à la fois positive et tragique, se considérant fièrement lui-même comme un déviant résistant haut et fort à cette réprime de la bizarrerie, de la folie, de la différence. Je me tient désormais à ses côtés et l'applaudit très fort d'un regard plein d'espoir, celui que le cinéma français soit toujours aussi bon et intelligent.

Sinar1107
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le 24 oct. 2020

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