Ma vie avec Xavier Dolan, ou la recherche constante du bonheur dans le monde réel

Considéré comme un surdoué et un génie, Xavier Dolan sort une nouvelle carte de sa poche avec Ma vie avec John F.Donovan, son premier long-métrage en langue anglaise. Désormais, la sortie de nouveaux films est devenu un évènement à part entière autour du globe. Ses admirateurs en attendent forcément plus à chaque fois, était-ce vraiment judicieux de le mettre sur un pied d'estal quitte à être déçu? Imposteur pour certains, visionnaires pour d'autres, on essaye de tirer le vrai du faux dans cette humble critique retranscrivant mon avis sur ce film.


Tout d'abord, il faut reconnaitre que le jeune réalisateur (30 ans, c'est très rare, c'est comme si un enfant conduisait une voiture trop grande pour lui) possède toujours autant un sens inouïe de la mise en scène. La caméra dégage tantôt une grande sensibilité et d'autres fois se place au bon endroit pour faire craqueler la carapace des personnages. Le chef opérateur du long-métrage est lui aussi à saluer pour son incroyable travail sur l'image. La lumière, les décors, tout est gérés à la perfection. Trop parfait peut être? On pourrait reprocher au réalisateur d'aller dans des effets non-motivés et de faire ressortir une certaine superficialité mais on ne peut nier que sa vision personnelle des choses offre un sacré vent de fraicheur sur le paysage cinématographique.


Pour ce qui est du scénario, les dialogues sont très bien écrits et savent se taire pour laisser place aux regards, attributs comptant chers aux yeux de Dolan. Et il a bien raison puisque c'est des yeux que ressort l'authenticité d'une personne, ses vrais sentiments, intérieurs, enfouis. C'est souvent comme ça dans son cinéma, ses personnages ont un problème avec la communication et souffre d'un mal intérieur qu'ils expulsent de différentes manières. J'ai beaucoup apprécié cette mise en parallèle entre l'enfant rêveur que l'on est un peu tous lorsqu'on est passionné de cinéma et la star déjà établie dans le milieu qui souffre d'un mal-être. Ce John F.Donovan, c'est également un enfant, perdu, qui navigue dans une mer trop déchainée pour lui. On retrouve bon nombre de thématiques importantes aux yeux du réalisateur québécois: relation mère/fils, homosexualité, impuissance face à un pouvoir que l'on ne peut maitriser. Certes, on peut avoir le sentiment d'avoir fait le tour de ce que Dolan à a raconter mais c'est aussi cette maitrise de ces thèmes qui permettent de dégager une dimension personnelle à l'histoire. Il a été les deux personnages principaux et cela donne une redoutable véracité et justesse à son récit. Les acteurs sont tous exceptionnels, très bien dirigés.


Cependant, on pourrait reprocher au scénario d'être très dense et d'avoir finalement que très peu de temps pour tout raconter. Un sentiment d'inachevé m'est resté en travers de la gorge lorsque le générique est apparu. Par exemple, la réflexion sur la place d'un artiste dans le monde et l'idée de destin sont des thématiques qui me passionnent. Pourtant, elles ne sont qu'effleurées ici et perdent de leur impact, on se demande parfois si la place qui leur est accordée est légitime. Ce principal problème vient du fait que le film durait à la base beaucoup plus longtemps (le premier montage faisait 4h) et Xavier Dolan a dû complètement le re-monter à la suite de mauvais retours presses lors des avant-premières. Sortie avec un an de retard, Ma vie avec John F.Donovan en souffre forcément, et cela se ressent. Ses séquences mises en parallèle sont imbriquées parfois de manière surprenantes, les nombreuses coupes qu'il y a eu doivent en être la cause. Cela provoque donc des changements de comportements un peu brutes pour les personnages principaux, qui auraient mérités plus de temps de développement. Egalement, je ne sais pas si la structure en flash-back, où le petit garçon devenu grand raconte l'histoire, est une bonne idée. Cela fait rentrer le film de Dolan dans une représentation conventionnelle qui ne laisse que très peu de place pour la surprise. Enfin, ces problèmes de montage et d'agencement des séquences alourdissent le rythme du long-métrage et diminuent les enjeux. Car finalement, est-ce si grave si l'acteur entretient une correspondance avec un de ses fans?


La fin du film est satisfaisante, surtout qu'elle finit sur Bitter Sweet Symphony, une de mes chansons préférées, mais la déception est présente. Mes collègues cinéphiles sont du même avis, parfois de manière plus extrême. Inévitable ? Il faut avouer que je n'ai pas retrouvé les frissons et l'émotion que j'avais ressenti devant Mommy ou l'incroyable écriture des non-dits de Juste la fin du Monde, ici à peine effleurée lors des scènes en famille. Il manque ce petit quelque chose qui fait que le film est une évidence. Parfois, on a également l'impression que Dolan en fait trop, à l'image de cette scène de retrouvailles sous la pluie en musique auquel le réalisateur rajoute le ralenti. L'émotion évincée par les effets? Cela devait bien arrivé... Cette concomitance exceptionnelle entre la musique et la situation est portée disparue. Xavier Dolan a pourtant toujours autant de gouts en terme de chansons, mais cela ne suffit pas. Ce souffle d'épique et de puissance est donc difficile à percevoir dans ce nouveau long-métrage, qui donne l'impression de plus se conformer au cinéma américain. C'est dommage, cette fougue et cette originalité qui qualifiait Dolan tend à s'effacer. On retient néanmoins la scène du bain ou l'impressionnante séquence de pétage de cable de John Donovan mais ce ne sont que des coups de boost dans un récit où l'on reste finalement assez passif.


Ainsi, Xavier Dolan prouve une fois de plus être un grand réalisateur, un des meilleurs de notre temps à n'en point douter, mais n'arrive pas à dégager cette puissance qui le caractérisait tant. Il manque ce petit quelque chose qui nous fait sortir de la séance assez dubitatif malgré la justesse de ses propos lorsqu'il parle de ses thèmes favoris. Loin d'être mauvais, ce nouveau film ne sera toutefois pas cité dans ses meilleurs mais restera une compilation de ce qui est important pour lui, cette vision personnelle des choses est toujours aussi agréable. Et finalement je retrouve ce qui me plait dans le cinéma, cette envie de partager son histoire, ses réflexions et de mettre en scène le réel d'une manière différente. Voyager avec Xavier Dolan, c'est voir les choses autrement pendant quelques heures. Et juste pour ça, j'attends son prochain film avec impatience, espérant qu'il me bouleverse comme Mommy l'a fait.

Sinar1107
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le 17 mars 2019

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