Live and let lie
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Rupert se souvient de John, en posters scotchés dans sa chambre, à la télé devant laquelle il devenait frénétique, trop fan. Rupert se souvient des lettres qu’il a écrit à John alors qu’il était enfant, et de l’impact terrible qu’elles eurent sur leur vie respective quand elles furent révélées, données en pâture à la presse et au grand public. Xavier Dolan se souvient de la lettre qu’il écrivit, à huit ans, à son idole Leonardo DiCaprio. Dolan transpose, Dolan s’expose. Rupert Turner, c’est moi. Pour ça, il se permet tout, il voit gros. Gros budget, gros casting, gros tournage, grosse pression. Projet hyper ambitieux qu’on attendait yeux fermés et mains tendues, pour finalement se prendre le mur. Grosse gamelle aussi.
Le premier montage du film faisait plus de quatre heures, dit-on, ramené à deux et passant à la trappe toutes les scènes avec Jessica Chastain en méchante directrice de tabloïd. Si le film y gagne une certaine intensité, comme une urgence, il y perd en profondeur. Tout fait fouillis, la narration y est bancale (et pourtant ambitieuse avec trois axes chronologiques différents) et les personnages peu développés. Certains ne servent plus à rien (l’agent de John, son frère, sa meilleure amie…) quand d’autres en deviennent caricaturaux : le Rupert enfant qui parle comme un adulte qu’on a continuellement envie de gifler, le vieil homme dans l’arrière-cuisine ou la pauvre Susan Sarandon réduite à singer Anne Dorval et Nathalie Baye en éternelle cagole relou dolanienne.
C’est d’ailleurs le sentiment général que laisse le film : une copie, une mauvaise imitation du style Dolan manigancée par un admirateur plein aux as (parce que bon, se payer Jon Snow, Dumbledore, Padmé Amidala, Annie Wilkes et Louise Sawyer dans un même film, faut pouvoir). Si Mommy faisait figure de pot-pourri, ici c’est carrément un maxi best of. On y retrouve les mamans d’à peu près tous ses films, le fils tête à claques de Mommy, l’artiste rongé par un lourd secret et le repas familial qui dégénère dans Juste la fin du monde, une scène de club et de boîte de nuit à la Laurence anyways, engueulade mère/fils, papier peint de mauvais goût, tubes pop à la chaîne, mélo à tous les étages, etc.
Dolan a voulu bien faire, Dolan a cru faire bien. Parler des pièges et des dangers de la starification, de la difficulté d’être soi-même, de nos rêves d’enfant et de nos aspirations diverses, c’est bien. Ne pas se répéter, c’est mieux. Alors parfois il y a de la superbe, des instants magiques dans lesquels on retrouve le Dolan qu’on aime, celui qui touche, qui n’a pas besoin d’artifices pour nous émouvoir soudain (la scène dans la voiture où John rompt avec Will, le sourire malicieux de Michael Gambon…). Et puis souvent c’est lourd, c’est factice, c’est raté, avec sans doute ce que l’on aura vu de pire dans sa filmographie (la scène où Rupert et sa mère se retrouvent à Londres, terrifiante de ridicule cheap). Ce n’est pas la première fois que Dolan se prend les pieds dans le tapis, mais là il a vu trop grand. Il a rêvé trop fort.
Créée
le 15 mars 2019
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