"Un sourire, viennent dix mille printemps. Une larme, passent dix mille automnes."
Film lyrique, historique, mais aussi un peu glauque à cause de la présentation d'un extrémisme artistique chinois qui semble ne pouvoir éclore que dans la souffrance, l'humiliation et d'autres horreurs qui font écho à un tas de stéréotypes ici confirmés par un regard autochtone. Malgré tout, c'est indéniablement l'humanité des personnages qui ressort, personnages en constante quête d'amour et de reconnaissance, auprès d'une femme, auprès du public de l'opéra, auprès d'un frère dont on est tombé amoureux...
Les acteurs principaux sont tous impeccables, à commencer par Leslie Cheung dont je m'étais quelque peu moqué dans ma critique du "Syndicat du crime". Il interprète ici, aussi sobrement que brillamment, un jeune homme brisé dans son enfance et qui n'a trouvé de raison de vivre que dans la complète assimilation de son art dans sa vie. Il est ainsi littéralement devenu son plus grand rôle opératique, celui de la concubine d'un roi, au point de tomber amoureux de l'interprète de ce dernier, son ami et frère de scène depuis toujours Xiaolou, joué par un Zhang Fengyi intense, truculent et profondément humain, jusque dans ses excès. Gong Li, enfin, m'a subjugué par sa beauté et son naturel envoûtants dans un rôle de prostituée qui donnerait envie à n'importe quel homme de courir les bordels. Belle mais touchante aussi dans sa volonté d'oublier un triste passé dans l'espoir fou de se faire, pour la première fois de sa vie vraiment aimer et respecter par un homme, Xiaolou, en l'occurence.
Emportés par le tourbillon historique de la Chine du début du XXème siècle, l'invasion des Japonais et la révolution communiste, les personnages verront leurs espoirs de paix et d'amour lentement brisés par la déception et l'humiliation. Et tandis que des questions intéressantes sur les rapports entre l'Art et la vie seront soulevées (y compris dans des extraits d'opéra chinois extrèmement éloignés de nos concepts musicaux mais qui ont le mérite d'être intéressants), de nombreuses scènes d'une beauté lente, opiacée, nous touchent d'une mélancolie universelle particulièrement bien traitée.
Un peu trop long cependant, le film radote sur certains points qu'il aurait justement fallu condenser et présente une brochette de seconds rôles à contre-courant du trio principal, c'est à dire détestables et caricaturaux, ce qui a tendance à rendre certaines scènes très désagréables. Un bon moment de cinéma, à ne conseiller toutefois qu'aux personnes un minimum intéressées par l'Empire du Milieu.