Je ne suis pas père d’une adolescente, et je n’ai jamais été adolescente moi-même, du moins que je sache. Et pourtant, ce film (étonnement tourné par un homme) m’a profondément touché.
Dans ce documentaire, le réalisateur filme deux amies adolescentes de la classe de 4ème jusqu’au Baccalauréat en 2018 et leurs départs dans l’enseignement supérieur.
L’enjeu ici, c’est l’apprentissage, l’accès à la maturité et à l’indépendance, le passage à l’âge adulte avec tout ce que cela entraîne de doutes et d’angoisses.
A travers les deux jeunes filles, Anaïs et Emma, amies et confidentes depuis le collège , le réalisateur brosse le portrait d’une jeunesse évoluant dans une époque terrible et anxiogène (attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan) et sans grandes illusions (élection de Macron).
Une des grandes qualités de ce film est de nous faire entrer dans l’intimité de ces deux adolescentes et de leurs familles sans jamais nous placer dans une position de voyeur. Malgré l’intimité, le film reste très pudique. Il ne pose pas de jugement et n’est jamais méprisant ou condescendant avec ces personnages filmés au plus près dans leurs quotidiens.
A travers les deux adolescentes, le réalisateur dresse aussi un portrait de leurs mères et aborde de front les rapports mère fille, alors que les pères eux sont absents, le père d’Emma absent physiquement parce qu’il voyage beaucoup le père d’Anaïs absent cloîtré dans son mutisme.
Les deux jeunes filles, même si elles sont très proches ne sont pas du tout issues des mêmes milieux sociaux. La famille d’Emma fait partie de la petite bourgeoisie de province, les deux parents travaillent, ils ont une belle maison et partent en vacances en club en Espagne pendant l’été. La famille d’Anais quant à elle, si elle était anglaise pourrait sortir tout droit d’un film de Ken Loach. La mère et le père ne semblent pas travailler, du moins pas régulièrement, et ensemble ils enchaînent les galères, maladie, hospitalisation, problèmes de logement, enfants placés. Le déterminisme social, même s’il n’est pas le sujet principal du film, irrigue celui-ci du début à la fin. L’accès au baccalauréat ne les fera pas accéder au même avenir.
Le film peut faire penser également au roman Nicolas Mathieu « Leurs enfants après eux » d’où le titre de la chronique. En effet, les deux traitent de portraits d’adolescent(e)s sur plusieurs années avec des ellipses, de rapports générationnels, de déterminisme social et prennent place dans le même type de décors, banales villes de province, quartier pavillonnaire et ensemble immobilier sans âme, et la base nautique de loisirs qui l’été permet de tromper l’ennui.
Quelques fois le film s’éloigne du documentaire et l’on peut avoir l’impression d’assister à une fiction, la première scène où Emma chante, les scènes de baignade et la scène des pieds dans la neige. Cela renforce encore la beauté de cette œuvre, en mettant un peu de poésie dans un réel si âpre.