"Les Brasiers de la colère", "Strictly Criminal", "Hostiles" et, aujourd'hui, "Affamés" !
Si voir le nom de Scott Cooper à la tête d'un film d'horreur -et, qui plus est, faisant appel à un élément surnaturel- a peut-être de quoi étonner de prime abord tant la filmographie du réalisateur-scénariste cherche souvent à coller au plus près d'une réalité où le fantastique ne semble pas avoir sa place, sa propension à passer d'un genre à un autre pour explorer les méandres de la noirceur humaine trouve néanmoins ici une évolution logique avec l'idée de la matérialiser dans quelque chose qui n'a justement plus rien d'humain à l'écran. Avec, en plus, comme compagnon de route Nick Antosca, créateur de séries où l'horreur et la psyché tourmentée de ses personnages se conjuguent souvent dans de vrais tableaux dérangeants et hors-normes ("Channel Zero" et "Brand New Cherry Flavor" sont là pour en témoigner, "Affamés" est de surcroît basé sur une de ses nouvelles), autant dire que cette incursion dans le genre de la part de Cooper avait de quoi susciter la curiosité. Et on ne parle même pas du casting mené par la trop rare Keri Russell et la valeure sûre Jesse Plemons.
Quelque chose ne tourne décidément plus rond dans une petite ville d'Oregon. L'omniprésence de la rouille d'exploitations désertées s'est infiltrée dans une nature que l'Homme, affamé, a pillé sans compter pendant des années. Balayés aujourd'hui par les affres de l'économie, les travailleurs d'autrefois ont reporté cette faim insatiable sur leur propre espèce, en se substantant dans les trafics qui assurent certes leurs survie momentanée face à la pauvreté mais qui, à plus long-terme, les condamnent eux-mêmes et une nouvelle génération n'ayant pas d'autres choix que de subir cette horreur sociale et ses conséquences les plus déviantes dans le silence de leurs habitations vétustes.
Victime autrefois de ces abus, une institutrice fait le choix de revenir enseigner dans sa ville natale. Alors qu'elle-même doit encore jongler avec ses propres démons, elle détecte une souffrance similaire chez un de ses élèves et décide de tout faire pour lui donner le soutien qu'elle n'a pas eu. Mais le secret douloureux entretenu par cet enfant va dépasser tout ce qu'elle avait pu imaginer...
Si l'espèce humaine se cannibalise bien de façon métaphorique en courant à sa propre perte dans "Affamés", le film va bien évidemment faire appel à un mythe pour incarner littéralement ce mal social qui conduit cette population de laissés-pour-compte vers toujours plus de déchéance. Très peu vue au cinéma (souvent plus par évocation), la légende utilisée par Scott Cooper et Nick Antosca est d'ailleurs parfaite pour coller à tous les niveaux du propos du long-métrage, on peut y voir une forme de revanche ancienne de la Nature (et de peuples) sur les dégâts causés par des sociétés dites civilisées tout comme un cancer né de l'ignominie humaine et inarrêtable dans sa propagation pour révéler les pires instincts trop longtemps dissimulés dans l'ombre. À noter que ce mythe a sans doute été créé à l'origine pour justement prévenir par la peur les risques de cannibalisme en temps de famine, ce qui rajoute quelque part une jolie pointe d'ironie au contexte de désolation pourtant si moderne du film.
Bref, comme attendu, l'horreur est avant tout là pour mettre en relief les travers les plus noirs de l'Homme chez Scott Cooper et il faut reconnaître que le concept choisi pour le faire est très habile dans une ambiance où le désespoir semble devenir toujours un peu plus palpable à l'image.
Hélas, malgré toutes ces belles prédispositions qui tendaient à faire de "Affamés" une proposition du genre vraiment originale, le soufflé retombe très vite en découvrant le déroulement finalement très banal de cette histoire qui n'ose jamais s'affranchir de certains codes archaïques du cinéma d'horreur.
Au-delà de quelques envolées gores propres au mode de fonctionnement de sa malédiction et de manifestations physiques toujours réussies (avec des effets spéciaux qui privilégient le "réel" aux CGI, c'est assez rare pour être souligné), "Affamés" se contente trop souvent du minimum dans son cheminement pour espérer créer la surprise ou une tension à la hauteur anxiogène de son ton pessimiste. Les meurtres s'enchaînent, le parcours de l'héroïne et son identification à son petit protégé sonnent à chaque fois comme des évidences, l'enquête et les révélations autour des origines du mal ne dévient jamais d'un canevas dont on connaît tout par avance, le final bien sûr plus démonstratif fait le job, l'épilogue tente bien de jouer sur la nature ambivalente d'un personnage vis-à-vis du passé mais encore fois au prix d'un rebondissement lambda laissant une dernière fois un léger goût amer sur ce qu'aurait pu être "Affamés" s'il n'avait pas choisi de plonger tête baissée dans la facilité pour conduire son récit pourtant prometteur.
On n'ira pas jusqu'à dire que "Affamés" nous a laissé sur notre faim mais on est très loin du repas gargantuesque qu'il nous avait laissé entrevoir sur la carte de son menu.