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J’en attendais beaucoup trop de ce film. Quand j’ai entendu parler d’Aftersun pour la première fois c’était par le biais de sa bande-annonce, qui promettait un film d’auteur dépaysant, en été, et traitant du thème du souvenir sur fond de relation père-fille. Le format MiniDV, qui allait être au coeur de l'intrigue, est un format dont l'esthétique me touche beaucoup, en bon enfant des années 2000 que je suis. Tout était là pour que j’aime. J’étais déjà vendu à ce film avant même qu’il ne sorte, et pire que ça : je me l’étais déjà mentalement construit en puisant dans ce qui auraient pu être ses influences : j’ai fait une erreur et j’ai été déçu. Pourtant, Aftersun est un assez bon long-métrage qui coche toutes les cases de ce que j’ai cité plus tôt, on ne nous ment pas du tout sur la marchandise.


Commençons par les points positifs : Paul Mescal (Calum) et Frankie Corio (Sophie) sont géniaux, leur tandem père-fille fonctionne très bien et leur alchimie transpire dans les scènes où on les retrouve ensemble et unis. Paul Mescal mérite amplement sa nomination aux Oscars, j’ai cependant peur qu’il s’enferme dans ce genre de rôles de personnages masculins névrosés qu’il avait engagé dès Normal People, malgré le fait qu’il y crevait déjà l’écran. Après il faut dire qu’il joue ça divinement bien, je pense notamment à ses scènes solitaires mais surtout à celle de dos dans laquelle il est torse nu (si vous avez vu le film vous savez de quelle scène je parle) qui constitue un des véritables points de bascule du film. Frankie Corio, quant à elle, est sans aucun doute la révélation de ce film dans ce rôle de pré-adolescente malicieuse et en avance sur son âge. De leur alchimie à l’écran découlent plusieurs scènes qui fonctionnent vraiment : celle du câlin (qu’il faudrait que je revoie parce que c’est étonnamment une de celles qui m’a le plus ému alors qu’elle ne paie pas de mine, je crois que la musique y a joué un rôle prépondérant); du karaoké et de la danse en parallèle, qui fonctionnent par écho; et bien évidemment la séquence à 10 minutes de la fin, véritable climax émotionnel qui m’a foutu quelques frissons. En parlant de cette scène, je l’ai particulièrement aimée dans sa subtilité, son caractère fantasmé et métaphorique à plusieurs dimensions laissant aux spectateurs une liberté d’interprétation qui sert grandement la connexion émotionnelle nécessaire à la projection de ceux-ci dans l’histoire. Enfin, même si ce n’est pas vraiment la peine de le remarquer tellement ça saute aux yeux, le film est très joli. Charlotte Wells parvient très bien à esthétiser le sujet qu’elle filme en apportant parfois des éléments de mise en scène plutôt intéressant. Elle fait par exemple une très jolie utilisation symbolique de la couleur jaune au sein du film. Sophie est représentée par cette couleur dès le début, lorsqu’elle dit vouloir repeindre sa chambre en jaune à son père au détour d’une conversation (le jaune, tout en la définissant de façon primaire pour son caractère jovial, exubérant, qui va ajouter de la lumière à la noirceur de son père, devient également le symbole, par l’évocation de la chambre, de son intimité et de son identité). Cette couleur la suit dans la chambre d’hôtel lorsqu’elle et son père sont éclairés par leur lampe de chevet; mais aussi sur son t-shirt (à marinière jaune et blanc) lorsque celle-ci contemple pour la première fois le couple d’adolescents plus vieux qu’elle se rouler des énormes pelles, représentant alors un éveil à sa sexualité qui verra son épiphanie dans la scène où l’une des vacancières adolescentes sur le retour lui donnera son bracelet jaune, lui permettant d’avoir accès gratuitement à toutes les boissons du bar du club (je trouve que cette scène en raconte beaucoup subtilement sur la sexualité de Sophie, qui sera confirmée par la suite). Les scènes dont le sujet principal est le personnage du père me parlent cependant beaucoup plus. Lui dont la couleur symbolique serait le bleu, complémentaire au jaune de Sophie. Un bleu dont nous serions témoins de toutes les nuances, du bleu azur de la mer calme (le père, la sécurité) au bleu pétant de la piscine (le côté plus rock’n’roll qui jette des projectiles aux danseurs de Macarena), mais également parfois du bleu nuit de la mer tumultueuse nocturne tendant vers le noir (la scène la plus triste du film selon moi).


 Bon, au fur et à mesure de l’écriture de cette critique je me vois trouver de plus en plus de qualités à ce long-métrage, alors pourquoi ma note est-elle si basse ? Je n’exclue évidemment pas la thèse que j’avais commencé à développer en intro, j’en attendais beaucoup trop et cette frustration est infiniment subjective, mais qu’est-ce qui m’a fait ressentir cette frustration et cette déception ? Déjà, Aftersun est le premier long-métrage de sa réalisatrice et même si il est très soigné, on ressent fort cette envie d’en faire beaucoup. Ça peut avoir son charme, il est fréquent de ressentir ce sentiment d’urgence en regardant le premier film de la filmographie d’un auteur, qui va peut-être un peu s’emballer dans sa mise en scène dans le doute que celui-ci soit sa seule et unique réalisation ou pour brandir son identité et ses influences comme un étendard. S’inscrivant dans cela en faisant tout son possible pour ne pas le faire, Aftersun manque parfois cruellement de subtilité. Ce n’est pas son défaut principal et j’ai déjà chanté les louanges de certaines scènes mais d’autres m’ont un peu exaspérées (les plans sur les parapentes sont jolis mais répétés trop souvent, jusqu’à en devenir un gimmick un peu chiant, tout comme la dichotomie ombre/lumière des deux personnages principaux). Je trouve que toute la partie très coming-of-age movies liée au personnage de Sophie manque cruellement d’idée de mise en scène, surtout dans les scènes de ce que j’appellerai de « contemplation des corps ». Ces scènes sont plates, on assiste à une succession assez molle de champs/contre-champs et de plans POV (quand on voit ce que peut en faire un Luca Guadagnino dans Call me By Your Name avec un côté presque palpable des corps on trouve ce genre de scènes bien peu inventives dans Aftersun). Pour nourrir ce genre de mise en scène le motif de la piscine est déjà récurent dans bon nombre de coming-of-age movies et Aftersun ne se distingue pas par l’inventivité de son utilisation, ça fait des jolis plans, ça raconte quelque chose sur l’éveil de la sexualité chez Sophie, c’est tout (on peut mentionner Naissance des Pieuvres de Céline Sciamma qui utilise ce motif d’une jolie manière et sensiblement avec la même démarche, qui réussit là où échoue Wells). Je vais me corriger : le film oscille constamment entre trop et pas assez, en réussissant vraiment à émouvoir à son meilleur, mais en ennuyant pas mal à son pire. Derrière ce manque de subtilité dans certains plans et cette volonté un peu outrancière d’esthétisme se cache sûrement ce que je reproche le plus à Aftersun : j’ai eu beaucoup de mal à trouver des points d’accroche pour entrer en connexion émotionnelle avec le film et ses personnages. En interview, Charlotte Wells déclare s’être un peu effacée de l’histoire qu’elle voulait raconter pour toucher à l’universel, pour que le spectateur nourrisse le film de ses propres expériences, ses propres souvenirs d’été afin d’être pleinement touché par ce récit mélancolique sur le manque du père. C’est une démarche que j’adore en général, j’ai décrété qu’As I Was Moving Ahead, I Saw Brief Glimpses of Beauty de Mekas était mon film préféré en grande partie pour sa faculté à utiliser l’intimité pour toucher le spectateur, ce qui m’avait bouleversé à l’époque où je l’avais vu parce qu’il avait parlé à une fibre très ancrée en moi sur le fait de chérir les souvenirs pour en célébrer la vie. Ce qu’on peut reprocher à cette démarche cependant, c’est le fait que chacun ne recevra pas de la même manière les images filmées. Pour pallier à cela, Aftersun, dans une démarche formelle très impressionniste tente continuellement de créer des moments, mais échoue à ce jeu en laissant trop longtemps tourner certaines séquences qui ne me parlent pas (j’insiste cependant sur la subjectivité de la phrase, car elles peuvent parler à d’autres personnes), reflétant alors chez moi un certain ennui. Je ne me reconnais pas dans toutes les situations dépeintes et je ne me reconnais pas dans le personnage de Sophie, une fois ceci établi certains passages du film semblent longs, très longs et très poussifs. Je ne demande pas à me reconnaitre dans tout, mais ressentir cette impression étrange que le film n’en donne jamais assez pour s’accrocher émotionnellement est assez désagréable parce qu’à certains moments je sentais qu’il manquait juste une petite touche d’âme en plus pour me transporter. Il y a énormément de films prenant pour thème les vacances et l’été dans lesquels j’ai plus réussi à me projeter (je pense à la filmographie de Guillaume Brac par exemple, mais ça doit plus être une question de milieu social). D’ailleurs, je ne pense pas que Charlotte Wells se soit « effacée » de son film, je pense même qu’elle se raconte complètement et je crois que ça ne m’a pas aidé à recevoir sa démarche universaliste. En témoigne le premier plan du film où l’on distingue le visage de Sophie adulte, soufflant sa bougie d’anniversaire sur son lit avec sa compagne. Cette séquence de 10 secondes qui confirme l’homosexualité de Sophie a pour seule utilité d’établir un lien entre la réalisatrice et son personnage (la réalisatrice étant ouvertement lesbienne), par cette scène Sophie devient l’avatar de la cinéaste. Il n’y a aucun problème avec ça, mais je trouve que sa démarche en prend un coup et casse un peu la subtilité de la construction par la mise en scène de la découverte d’identité du personnage qu’on comprenait très bien sans cette conclusion évidente. C’est très bien de se raconter, d’ailleurs Jonas Mekas parle uniquement de lui dans ses films mais là où le cinéaste, par le montage de ses films construit de véritables représentations de divagations de pensées nostalgiques (qui touchent également car c’est la « réalité » qui est filmée, ce qui facilite la projection de soi dans les images), le film de Charlotte Wells ne parvient pas à reproduire ce petit miracle dans son film de fiction malgré ses efforts : j’ai plus eu l’impression d’être un spectateur en dehors de l’histoire, qui assiste à une tranche de vie qui lui est racontée, plutôt que d’être avec les personnages dans une empathie totale. Dommage. 


Aftersun est un bon film, très soigné esthétiquement, avec certaines des meilleures performances d’acteur que je verrai cette année. Je suis vraiment intrigué de voir comment Charlotte Wells va continuer sa carrière, on a découvert là une cinéaste très talentueuse que je vais suivre avec attention, surtout si ses films approfondissent les thèmes déjà présents dans son premier. Je suis triste d’avoir été déçu et je pense qu’un re-visionnage débarrassé de ces attentes de voir le film du siècle m’aideront à plus apprécier Aftersun, qui avec quelques jours de recul me laisse un plutôt bon arrière-goût malgré ses faiblesses évidentes. J’admets aussi grandement qu’une bonne partie de ce qui me dérange dans le film pourra émouvoir un autre spectateur. Aftersun s’inscrit dans la bonne tradition du premier film d’un auteur, dans tout ce que cela évoque de bon comme de mauvais.

nathancarron
7
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le 6 févr. 2023

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nathancarron

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