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le 1 févr. 2023
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Aftersun est un recueil d’impressions saisies sur le vif, une suite décousue de scènes qui reproduit le travail de la mémoire. C’est le dernier été qu’un père passe avec sa fille, on le comprend bien dès les premières minutes. Mais rien n’est dit. Nous n’avons droit qu’à une sélection de moments forts collés ensemble au hasard des prises de vue au caméscope et des souvenirs les plus saillants de Sophie adulte. Son regard d’enfant joyeux est balancé par ce qu’elle a pu comprendre en grandissant. Ce qu’elle ne pouvait pas voir du haut de ses 11 ans nous le voyons avec elle alors qu’elle se souvient, nous sommes dès le début complices dans cette recherche d’indices et de réponses qui sont toujours insuffisants. Il n’y a pas de réponse définitive à ce qui est arrivé, à cet événement qui n’est jamais mentionné et pourtant perceptible dans chaque scène comme une présence inquiétante. Cette recherche infructueuse est le cœur du film et est émaillée par une scène rêvée dans une rave party où s’exprime toute la frustration de Sophie qui ne parvient pas à atteindre son père, pourtant là bien en chair devant elle, inchangé et toujours aussi insaisissable. Le film tire toute sa force de ce double regard avec beaucoup de discrétion, en s’effaçant pour nous mettre face à ces fragments qui nous laissent voir ce qui ne va pas. Il s’en suit un contraste permanent entre ce que traverse Calum et ce que vit Sophie, malgré tout l’amour qu’ils se portent un mur silencieux les sépare, d’ailleurs représenté dans une scène où il se coupe en retirant son plâtre, taisant sa douleur pendant que derrière la cloison Sophie essaie de s’intéresser à son livre.
La dépression dont souffre visiblement Calum transparaît presque malgré lui, lui qui essaie autant que possible de sauver les apparences. Je pense en particulier à cette magnifique scène dans un théâtre en ruine où Sophie a l’idée de former un chœur pour lui souhaiter son anniversaire. Mais Calum n’a pas la réaction attendue, son visage sombre filmé d’en bas exprime une douleur sourde, incompréhensible pour elle qui n'a pas encore peur de vieillir, inaccessible comme sa silhouette à moitié dans le ciel, déjà partie. Et après un fondu nous le découvrons de dos, nu, sanglotant face à un mur sombre et lugubre, comme son visage à l’instant d’avant. Sa douleur demeure une fois encore inaccessible, inaccessible aux yeux de Sophie qui n’a jamais pu la comprendre. C’est d’une précision parfaite. Derrière ses airs chaotiques et faciles, Aftersun donne à voir un vrai travail d’orfèvre : le travail de la mémoire avec ces regards croisés, ces impressions diffuses qui distillent un malaise permanent derrière une apparente légèreté.
La scène finale est sans doute la plus belle, certainement la plus déchirante comme scène d’adieu. Nous voyons Sophie filmée par Calum dans ce qui semble un terminal, elle s’éloigne, disparaît derrière un mur puis revient par surprise plusieurs fois, repoussant toujours le moment du départ par ce jeu enfantin, se jouant de nous et de Calum, comme si elle savait déjà qu’elle n’allait pas le revoir. Son image est finalement figée, main en l’air. Et par un habile mouvement rotatif nous basculons dans le salon obscur de Sophie, à présent adulte, puis nous nous retrouvons de nouveau dans le couloir du terminal grâce au même procédé, cette fois nous sommes face à Calum qui referme son caméscope, il nous tourne le dos et disparaît finalement derrière une porte où nous ne pouvons le suivre. A la fin c’est tout ce qu’il reste, un couloir vide, espace liminal par excellence, espace du rêve, des projections de l’esprit, qui semble isolé du reste du monde, et pourtant poreux au monde, au cœur du monde grâce à cette rotation qui joint les espaces entre eux. Cette seconde scène d’adieu qui fait écho à la première, imaginée a posteriori par Sophie adulte, est une manière pour elle de laisser là sa quête de réponses, de laisser là l’image de son père, c’est une manière pour elle de faire le deuil et c’est une admirable manière de clôturer un film fait de bribes, d’ébauches, imitant à l’aide d’acteurs merveilleux le mouvement de la vie qui est toujours inachevé.
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Créée
le 25 nov. 2024
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