C'est presque comme une vielle cassette vidéo de vacances retrouvée, insérée avec curiosité dans un magnétoscope exhumé du grenier, qu'on visionne le premier film de Charlotte Wells. Presque comme des images d'amateur tournées par hasard avec pour seul but de capturer des souvenirs. Et avec les images retrouvées des vacances, les souvenirs d'enfance qui reviennent à la mémoire.

Ces vacances, ce sont celles d'une fille mûrie trop vite et de son jeune père qui peine à devenir complétement adulte. Ces souvenirs, ce sont ceux de la fille qui se remémore son père. Ces images, qui reconstituent le souvenir, ce sont celles du récit "émotionnellement autobiographique" des dernières vacances passées ensemble. Dernières avant quoi ? Dernières avant la fin de l'enfance ? Dernières avant le départ ? On ne le saura pas. Comme dans la vieille cassette vidéo qu'on visionne, le passé, le contexte, les drames n'apparaissent pas à l'écran, mais les images, familières, des instants immortalisés, nous rappellent les émotions qui ont été vécues.

Ainsi le montage habile, les plans saisis, contemplatifs et la focale vacillante façonnent une mimesis intimiste et circonscrite de la perception et du souvenir du réel par la petite Sophie. Comme lors de ce plan long au cours duquel la mise au point hésite entre le reflet des protagonistes sur la télé cathodique, celui du père dans un coin de miroir et sur les bouquins de Taï-chi et d'initiation à la méditation.

Des repères, des indices fugaces qui permettent à Sophie, spectatrice adulte d'images retrouvées, la reproduction d'une réalité oubliée en partie et qui se prend un sens nouveau, puisqu'elle est confrontée à sa propre parentalité, à un age certainement proche de celui qu'avait son père lors de ce dernier été passé ensemble. Ce réel perçu par l'enfant qu'elle était provient d'images visiblement heureuses, un souvenir de vacances au soleil, de l'amour partagé avec son père, un moment initiatique et indéfectible. Mais c'est derrière les images sans contexte, hors champ, que se jouent les drames intimes. C'est à leur souvenir que Sophie s'insurge violemment et quitte son rôle de spectatrice, dans des scènes stroboscopiques et transpirantes qui relient le passé au présent, qui permettent au père infantile de danser encore une fois avec sa fille adulte et à elle de lui exprimer sa colère, gardée muette au cours d'une adolescence étouffée.

La relation complice et les moments de joie partagés par ce couple bancal, leur proximité amicale parsemée de pathétiques mais amusantes tentatives de paternité, les instants de bonheurs, sont en permanence empesantis par l'humeur changeante du père, dont le mal-être semble insondable. Ni le déroulement ni le dénouement ne sont tragiques mais la tristesse est là, derrière les images. Et la seule tragédie du film, c'est celle du temps qui passe, qui progressivement creuse l'éloignement inexorable entre les êtres, entre eux et leurs souvenirs. Le reste n'est que suggéré, sous-entendu : Aftersun, après le soleil, la pluie, la séparation, l’absence, le suicide même peut-être.

vvivien
8
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le 24 mai 2023

Modifiée

le 28 avr. 2024

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vvivien

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