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le 1 févr. 2023
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Si vous ne voulez pas être spoilés du tout, passez votre chemin… Et si vous acceptez de l’être partiellement vous pouvez risquer de lire ; les éléments les plus révélateurs sont regroupés en fin de critique et sont annoncés.
En sortant d’Aftersun j’avais un sentiment d’ennui – tout comme ma compagne.
Puis on en a parlé dans le tram et déjà le film prenait du relief.
Puis une nuit et, le lendemain, émergeaient du film d’autres harmoniques, d’autres versants, d’autres aspects.
On vit le film du point de vue de Sophie, 11 ans. On est dans son regard de fille de 11 ans : naïf, enjoué, simple, (assez) positif. Et ce qu’elle vit est important pour elle – des vacances seule avec un père qu’elle voit trop peu –, mais ennuyant pour moi : on les voit dans des moments banals – vacances dans un club au bord de la mer en Turquie…
Mais – est c’est l’art de Charlotte Wells – Sophie ne peut pas tout voir du haut de ses 11 ans. Quelque chose d’essentiel lui a échappé : durant ces vacances, son père était profondément tourmenté. Et moi, spectateur adulte, je découvre ça comme Sophie dans un après-coup. Pendant le film je n’ai rien vu – comme l’enfant – mais après j’y repense à la recherche d’un sens, d’une clé au mystère. La réalisatrice me met donc à la place exacte de Sophie qui n’a rien vu pendant et essaie de comprendre après. Avec quelques éléments épars ne permettant que de faire des suppositions. On ne découvre pas vraiment le sens : on n’a aucune certitude, on cherche avec des bribes – quelques sautes d’humeur de Calum, une "absence" (s’endormir nu sur le lit de sa fille de 11 ans en laissant celle-ci dehors la nuit sans clé) ; trois réflexions du type « attention ça a coûté cher » discrètement réparties tout au long du film.
Et cette relecture est vertigineuse.
Toute l’attention d’un père qui veut à tout prix cacher son propre mal-être à sa fille. Mon impression est que Calum souffre d'un manque abyssal d'estime de soi. Je dis cela sur base de quelques éléments épars, encore une fois : il ne supporte pas son image dans le miroir ; il souffre de blessures du passé encore brûlantes ; il ne se pardonne pas de manquer d'argent pour offrir davantage à sa fille - il semble se considérer comme un raté, un loser. Cette mésestime de soi déborde par-ci par-là, il s’excuse, Sophie n’y voit que du feu. Pour elle, il est son papa - un homme merveilleux.
SUPER-SPOILER --- Attention : la suite de cette critique est un SUPER-SPOILER !...
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Dans ma lecture, c’est ce dilemme fou, terrible d’un père qui aime vraiment sa fille mais qui n’arrive plus à vivre. Calum veut mourir. Il sait la tristesse indicible que cela causerait à Sophie – et il ne veut pas lui faire de peine. Mais vivre est vraiment trop dur pour lui – vraisemblablement. Que faire alors ? Ce père semble avoir choisi sa solution : offrir à sa fille un magnifique cadeau : quelques jours de vacances seule avec lui. Lui pleinement disponible (et jovial autant que possible).
Après il se suicidera – il le sait. L’objectif est donc de laisser à Sophie ce beau souvenir de lui.
Il sait qu’elle lui en voudra, qu’elle ne comprendra pas. Qu’elle lui reprochera de lui avoir menti, d’avoir fait semblant d’être heureux alors que le décompte fatal était amorcé.
Et donc, pour éviter qu’en apprenant la mort de son père Sophie fasse reset sur ces vacances du mensonge, Calum les agrémente d’un caméscope. Pour que tout le bonheur partagé laisse des traces malgré le déni ou le refus de mémoire d’une enfant se sentant trahie. Oui, ces vacances ont vraiment existé et Sophie y était vraiment – mais alors là vraiment – heureuse.
Et là, pour moi, toutes les scènes banales voire ennuyantes prennent un relief sidérant : les derniers souvenirs, si heureux (même s’ils se sont doublés d’une dimension énigmatique) d’une fille avec son père.
Lorsque Sophie, trentenaire, visionne les vidéos de ces vacances, elle est mère d’un bébé. Cela évoque-t-il tout ce que la parentalité vient questionner de notre rapport à nos propres parents ?
Sophie est alors en couple avec une femme – peut-être le signe d’une blessure dans son rapport aux hommes ?
Je terminerai avec cette scène. Calum pleure, de dos, nu, assis sur son lit – vraisemblablement après que Sophie ait pris l’avion du retour. J’imagine son dialogue intérieur tailladé de sanglots : « Oui je vais, bientôt, me tuer – et ma fille aimée va terriblement souffir en l’apprenant. Quelle horreur… et je ne peux vraiment pas faire autrement. Au moins j’ai essayé de lui faire le plus beau cadeau que je pouvais imaginer.
Je t’aime Sophie. »
Puis je revois cette démarche énergique, raide, décidée de Paul Mescal la nuit. Il se baisse promptement pour ramasser le mégot d’un passant sur lequel il tire avidement. Puis il rentrera dans une mer noire.
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Créée
le 8 mars 2023
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