On est en train de revivre avec le succès mondial conséquent d’AKA, film français dit « de genre », produit et diffusé par Netflix, ce qui était déjà arrivé en 2020 avec Balle Perdue. Le fait que les deux films mettent au premier plan le même acteur, Alban Lenoir, à peu près invisible sur les radars du joli monde du cinéma français, est intéressant, d’autant que Lenoir a collaboré au scénario de cet AKA, et que, sans doute au grand dam des acteurs « officiels », il est donc devenu aujourd’hui le visage le plus connu à travers le globe de ce fameux cinéma de l’hexagone. Quoi, un action hero à la manière des Bruce Willis et Schwarzie d’autrefois ? Pas tout-à-fait, parce que même si Lenoir distribue les mandales et les balles à la manière des plus grands, il n’y a dans ses films nulle trace de cet humour, de ce second degré, de cette distanciation dont le cinéma populaire US aime bien napper ses fictions pro-violence et pro-usage des armes. AKA est un film réussi, et même un film très intéressant (on n’ira pas jusqu’à parler de bon film, mais peut-être a-t-on tort…) parce que, fidèle à l’éthique du vrai film de genre, il est raide, sans une lueur d’espoir, avec une trajectoire qui ne renie jamais l’implacabilité des grandes tragédies.
AKA commence par une introduction exemplaire, qui va définir tout ce qui va suivre : avec un massacre filmé dans le noir, ni spectaculaire, ni totalement intelligible, qui se conclura d’une manière totalement inattendue. Et incompréhensible (pour le moment…). Qu’a-t-on vu, en fait ? Morgan S. Dalibert, dont c’est le seulement le second long-métrage en tant que réalisateur, sait parfaitement ce qu’il fait : son film sera ultra-violent, mais le spectateur ne sera jamais appelé à se délecter des bastons et des tueries diverses et variées qui se succèdent, qui seront constamment filmées à distance, à travers une caméra de surveillance, dans l’obscurité, etc. A quelques exceptions près, comme celle, remarquable, de la fusillade en pleine rue entre braqueurs et braqueurs de braqueurs. De plus, on ne pourra jamais croire tout-à-fait nos propres yeux : ce qui se joue devant nous n’est pas ce que nous pensons. Bref, la réalisation de AKA fait régulièrement preuve d’intelligence, et même de classe, ce qu’on était loin d’attendre d’un tel film.
AKA raconte la mission d’Adam Franco, une sorte de barbouze bas du front et machine à tuer inarrêtable, travaillant pour un puissant sénateur, et infiltrant – comme garde du corps – l’entourage de Victor Pastore, un petit truand (Eric Cantona, impeccable, tout en retenue lui aussi, qui mérite une seconde carrière comme acteur) soupçonné d’aider Moktar, un terroriste soudanais prêt à déclencher un attentat à Paris. Sans surprise, Adam va se prendre d’affection pour le fils négligé et malheureux de Pastore, et va privilégier ce dernier au détriment de sa mission…
Il ne faut pas en dire plus, car l’un des charmes de AKA, c’est de nous proposer une première partie des plus convenues, qui semble aligner les stéréotypes fatigués, avant de nous entraîner dans des situations inattendues, qui vont renverser très agréablement les idées préconçues que l’on avait forcément sur chaque protagoniste. Et ce jusqu’à une conclusion particulièrement tragique, qui nous laissera un goût amer dans la bouche. Bref, un excellent scénario (même si l’on pourra regretter la toute dernière scène, qui contrebalance un peu la noirceur étouffante de tout ce qui a précédé), très bien mis en scène…
… et au bout, un succès international amplement mérité. Bravo !
Bravo et merci pour ce nouvel espoir que le cinéma de genre puisse enfin triompher en France, qui a toujours été l’un des pays les plus réfractaire à sa grandeur paradoxale.
[Critique écrite en 2023]
https://www.benzinemag.net/2023/05/05/netflix-aka-un-succes-planetaire-une-excellente-surprise/