AKOIBON ? Oui, la question est légitime. Pourtant, le film d’Édouard Baer ne pose aucune interrogation. Il affirme. Il affirme même haut et fort. Mais qu’affirme-t-il ? Ça, c’est une autre histoire. Il crie tout d’abord son amour de l’imprévu, du moment flamboyant, de l’instant qui dérape, de l’excès autant que de la déraison. AKOIBON, ce n’est pas un film simple. C’est peut-être aussi un film qui ne cherche jamais à ressembler à un film. Il faut dire que le Baer est un animal difficilement domptable qui brasse beaucoup d’air, mais ce, toujours dans un geste d’enthousiasme constant. Dans cette seconde élucubration cinématographique, l’énergumène éternue une réflexion sur la société du spectacle déguisée en film. Conscient de ne pas être Kubrick et que ses sentiers seront moins ceux de la gloire que ceux de la foire, il laisse son film être trop grand pour lui et s’épanouit dans les plis et les vides, dans une vaine tentative de remplissage par la grâce de l’imprévu. Et c’est tout à son honneur qu’il laisse AKOIBON se faire devant ses yeux, fasciné par le passage des choses plus que par leur contrôle.


Les premiers pas sont instables. Dans quoi mettons-nous vraiment les pieds ? Dans un plat à base de faux-semblants ? Certainement. Puisqu’entre kidnapping et escroquerie, entre correspondance épistolaire et t-shirts de Moustaki, entre île-spectacle et doigt(s) coupé(s), tout tombera rapidement à l’eau. Car à quoi bon respecter le fil de son histoire quand on peut le sectionner en lambeaux de foire ? On a parfois l’impression que Baer écrit son film en temps réel dans une volonté d’esquiver le film lui-même. AKOIBON, c’est un peu comme se laisser porter par l’une de ses émissions matinales. Vous savez, ce moment où, pas bien réveillé, le café encore chaud dans la tasse, Édouard vous murmure quelques mots doux dans les oreilles, pour aller bosser sans avoir l’impression de marcher. On flotte. On suit le fil de ses pensées, imprévisibles et pourtant scénarisées. On s’éprend de ces mots au contact d’une mélodie reconnaissable. L’envolée musicale, ici, n’aura pas lieu. Mais Baer, semblable à lui-même, virevolte, telle une pile électrique surchargée ; agitant son film dans tous les sens jusqu’à en perdre la logique. Parfois pour le meilleur, presque jamais pour le pire. Ce mouvement permanent dans la narration amène forcément une forme de jubilation, de vivacité et d’énergie. Suivre le fil(m) pour mieux le perdre ? Oui, c’est l’objectif. Et quel objectif !


Armé d’un lourd bagage d’absurde, Edouard Baer poursuit ici la transposition cinématographique de ses pulsions télévisuelles. Dans AKOIBON, Le centre de visionnage – et son formidable bazar d’humour poétique – ne semble jamais très loin. Le grand format peine cependant à en canaliser l’intensité, à en reproduire les fulgurances, peut-être parce qu’AKOIBON porte en lui un constat d’échec moins jouissif que lucide. En témoigne ce titre qui, dans un geste je-m’en-foutiste, pose déjà les bases du projet : akoibon ? akoibon faire un film ? akoibon suivre un récit ? akoibon jouer la comédie ? tout simplement, akoibon ? C’est un film qui ne cherche jamais l’aboutissement, et semble même aller jusqu’à l’éviter. Moins abouti donc qu’Ouvert la Nuit, AKOIBON a au moins pour lui ce sens de l’entrain ; Baer sachant emmener les gens avec lui quitte à les perdre en cours de route sur des idées pas toujours tenues. Saveur à laquelle nos papilles avaient déjà pu s’habituer avec La Bostella Baer jouait à combler la peur de la page blanche par une tentative de remplissage par l’absurde : une piscine vide, une mine chiffonnée, le rire était déjà noyé d’inquiétude(s) et la frontière entre réalité et fiction était elle-aussi bien poreuse ; avec cette caméra VHS qui captait davantage un méli-mélo d’impros dans un brouillon – visuel et narratif – qui cherchait à devenir un film.


On ne canalise pas le Baer, cette bête qui lance des choses sans se soucier de ce qu’elles deviendront. C’est un véritable artiste de l’élan ; du lancer plus que de l’atterrissage. En résulte une œuvre abrupte, toujours, mais singulière. On reconnaît là aussi le goût du bonhomme pour la fugue, pour la fuite de son propre film. Alors il perce des trous dans la pellicule et laisse ses personnages errer dans un monde qui ne lui appartient plus. L’univers a beau être courbé sur lui-même et avoir des formes un peu disgracieuses, il recèle néanmoins d’une joyeuse ribambelle de personnages, tous campés avec brio par de formidables acteurs. C’est même beau comme du Bertrand Blier par instants : une actrice qui se demande ce que serait le film si elle avait pu amener son personnage jusqu’au bout du scénario, un narrateur que l’on flingue par agacement, un acteur qui quitte son personnage en plein film, etc. On pense alors aux Acteurs, en moins démesuré, en plus recentré, en tout aussi assoiffé. Assoiffé d’absurde et de déviations. Comme l’avait pu être aussi l’improbable Quoi ? de Roman Polanski où la farce érotique côtoyait un farfelu spectacle qui semblait toujours se dynamiter lui-même. Il faut dire que Baer plaçait déjà dans La Bostella une salle des fêtes sous le signe de la franche déconne. Ici, il préfère faire surgir l’inattendu pour tirer un peu de mélancolie de la ridule d’un sourire.


Il faut ainsi accepter le caractère bidon du film pour se laisser porter par des moments, des égarements. Des égarements qui n’en appellent plus au plus grand crieur de France ni au Jacques Higelin brésilien ; mais bien au Jean Rochefort, cette dangereuse bête de scène. Rochefort nous fait ici son Blue Velvet, usant de sa voix et de son pâle faciès pour jouer à l’acteur, éblouissant évidemment, coincé dans un show pathétique, artificiel et daté qui se répète à longueur de soirées. Poelvoorde le rejoint sur le podium et amène avec lui Chiara Mastroianni, Nader Boussandel, Atmen Kelif, François Rollin, Marie Denarnaud et une belle bande de figures amusées. Dans AKOIBON, les acteurs veulent se libérer du film qui les enferme. Et on les comprend parfois. Puisque le film ne se supporte pas lui-même et perd parfois son spectateur dans ce rythme inconstant. Tout l’objectif revient alors à quitter ce film comme on quitte une île, d’accepter de sortir des sentiers battus pour partir à la recherche d’une autre idée de cinéma. Le message au cœur d’AKOIBON, c’est peut-être cela : un appel à la prise de risque, au renouvellement dans la fabrication de rêves qu’on appelle films.


Ivre de vie, ivre du mouvement qui nous meut, ivre de son décalage, de son élégance et de sa poésie, AKOIBON nous entraine dans une élucubration parfois frappée par la grâce. C’est en ne contrôlant pas sa fiction que Baer espère trouver de la vie, dans un peu d’imprévisibilité et une espèce d’illusion nonsensique. Le film multiplie alors les états d’esprits pour capter celui bouillonnant du cinéaste-acteur. On aligne ainsi des mots et des images et on ose le culot de la sortie de route sur des sentiers qui ne sont pas battus. Le résultat est pour le moins étonnant, parfois déconcertant voire même frustrant. Mais au fond, AKOIBON est simplement une comédie en aveu de faiblesse ; avouant qu’elle est perdue dans un récit qui troque le rire pour un peu de mélancolie. Puisqu’il y a toujours ici un moment où le comique ne peut plus exister, où le passage à vide génère une singulière émotion propre à son auteur tourmenté. Au bout du métrage s’impose ainsi la grâce, presque fellinienne, d’une fuite libérée – libératrice même – sur des flots qui reflètent ceux d’Amarcord, à bord d’une barque qui porte autant de rêves que de désirs à rattraper. AKOIBON, c’est le Huit et Demi d’Edouard Baer. Enfin presque. J’exagère. Et alors ? Akoibon.


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blacktide
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le 16 juil. 2022

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