Merci. Merci. Merci Lionel Steketee pour ce moment, pour cet incroyable moment. Un film comme on en croise peu dans une vie de cinéphile. Il va être difficile de m'exprimer à chaud, c'est un film qu'il faut digérer, qu'il faut voir et revoir pour en comprendre le sens profond, mais déjà les interprétations fusent dans ma tête. C'est le genre de film qui vous travaille, qui vous hante pendant des jours et où chaque revisionnage remet en question tous vos repères. Un film psychologique, polycéphale, dont l'abstraction est magnifiquement détournée par le propos des personnages. Depuis que Béla Tarr a arrêté sa carrière cinématographique, avec l'exceptionnel cheval de Turin, je cherche désespérément qui pourrait remplacer ce génie... Et bien je l'ai maintenant trouvé.


Ce film va certainement devenir à la fable ce que Kubrick est au cinéma. J'en vois déjà certains se moquer, balayer ma critique d'un geste vulgaire, tout ça à cause de leur incapacité de comprendre les messages d'un film ou d'être touché par l'interprétation toute en nuance de monstres sacrés comme Kev Adams ou Jamel.


Alors, qu'avons-nous vraiment dans ce film ? Et bien l'histoire toute entière est une grosse métaphore de la pensée Nietzschéenne. Dans un premier temps le personnage campé par Kev Adams est celui de l'homme soumis à sa propre faiblesse, traversé par l'ennui et l’oisiveté, jusqu'à ce que le dictateur lui oblige à quitter la ville. Ici l'antagoniste, sous les traits de Jamel, est l'incarnation manifeste d'un quotidien désincarné, une sorte de Sisyphe (son nom, Shah Zaman, est un écho discret au personnage corinthien, et en plus la syllabe "man" (homme en anglais), suggère qu'il est l'image d'un comportement humain normé, et lui donne donc un statut symbolique). Kev va devenir cet homme qui lutte contre son quotidien, qui lutte contre lui-même, à la recherche du génie (interieur ?). Ce dernier voit ses pouvoirs amoindris, une excellent idée qui permet de balayer l'excuse du mysticisme sous-tendu par l'intrigue du précédent film, pour à la place insuffler dans la quête des deux compères la recherche du surhomme par l'éternel retour (le retour à Bagdad donc, avec une force nouvelle qui permet à Aladin de dépasser l'individu qu'il était au début du film. D'ailleurs le titre Alad'2 est l'exacte transcription de cette évolution et n'est pas simplement un jeu de mot stupide comme on l'entend partout. Ce titre est la transcription de ainsi parlait Zarathoustra la plus juste qui m'ait été donné de voir à ce jour).


Il est un caractère ontologique dans la quête des personnages qui sont ici présentés plus comme des concepts ou des symboles. Finalement, Aladin est le seul protagoniste, le seul personnage bien réel de ce récit, et nous le suivons dans sa psyché, à la rencontre de son subconscient, ses névroses et ses désirs (si vous êtes un cinéphile aguerri, tout ceci vous parraitra évident, mais parmi mes lecteurs il y aura surement des enfants de 12 ans à qui il faut expliquer comment comprendre une œuvre.) Ce qui rend cette suite très pertinente est que, là où le premier film se plaçait d'un point de vue phénoménologique, ici nous sommes dans une optique téléologique : c'est l'idée de l'individualisation selon Schopenhauer, l'individu est transcendé par des phénomènes qui le dépassent et revêtent un caractère éternel, ici l'usage de la fable et l'époque lointaine caractérise ce côté éternel. Enfin le personnage d'Aladin est l'incarnation de l'Homme en tant que concept, le ramenant à ses origines en Mésopotamie, tout en l'ancrant dans la banalité du quotidien (les mille et une nuits : la routine dans l'extraordinaire).


Je terminerai avec la mise en scène, qui est le reflet du propos, les lumières crades, le montage presque stérile est une représentation nihiliste du monde qu’Aladin essaye de fuir pour le transcender dans l'acte final. Cette œuvre est brillante, sans concessions et profondément intelligente. Malheureusement le public actuel est incapable de comprendre les images auxquelles il est soumis et d'en déceler le génie. J'espère que j'aurais ouvert les yeux à quelques-uns sur ce chef d'œuvre et vous invite à voir le premier film si ce n'est pas déjà fait. En espérant vous retrouver en salle lors d'un revisionnage prochain.

MasterPLS
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le 11 oct. 2018

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