Albino Alligator m’a longtemps fait de l’œil à l’époque des vidéos clubs à la fin des années 90. Mais allez savoir pourquoi, son titre me faisait peur. Il faut dire qu’à l’époque, je ne me matais pas encore plein de films animaliers bien pourraves pour l’amour de la blague là où aujourd’hui le moindre requin ou crocodile en CGI peut me faire m’intéresser à un film. Mais malgré son titre, aucun alligator dans Albino Alligator. Non, il est ici question d’une technique de billard consistant à sacrifier plusieurs boules afin de déstabiliser l’adversaire, lui faire croire qu’il a l’avantage, et au final lui imposer son jeu. C’est ce que Kevin Spacey va essayer de mettre en images pour sa première réalisation Une métaphore d’une technique de billard sous forme de huis-clos dans un bar souterrain. Au final, le résultat est… mitigé…
Nouveau chouchou d’Hollywood après avoir enchainé Usual Suspects (1994), Seven (1995) et Alerte (1995), Kevin Spacey revient là où on ne l’attend pas en 1996, derrière la caméra, avec donc sa première réalisation. N’ayant pas voulu apparaitre dans son film afin de se concentrer sur ce dernier, il va mettre en scène un trio de gangsters un peu bras cassés, qui après avoir raté un braquage écrasent un policier alors qu’ils sont en train de prendre la fuite. Paniqués, ils trouvent refuge dans le seul bar ouvert à cette heure tardive de la nuit, un boui-boui en sous-sol datant de la prohibition, le Dino’s Last Chance Bar. Mais très vite, la Police encercle les lieux. Là, pas d’autre solution que de prendre les clients et le personnel en otage et de réfléchir à un plan pour sortir de là. En quinze minutes, le pitch de l’histoire est posé. Il faut dire que le scénario n’est pas ce qu’il y a de plus consistant, mais ce n’est pas ce qu’on demande à un huis-clos qui souvent penche vite vers le pur film d’acteurs. C’est tout à fait le cas ici et quel casting ! Le jeune Matt Damon (Mary à Tout Prix, Sexe Intention), la toujours belle mais botoxée Faye Dunaway (Chinatown, Bonnie and Clyde), Gary Sinise (Forrest Gump, Apollo 13), l’inquiétant William Fichtner (La Chute du Faucon Noir, la série Prison Break), le tout jeune et pas connu à l’époque Viggo Mortensen (Le Seigneur des Anneaux), l’autre tout jeune et pas connu à l’époque Skeet Ulrich (Scream, la série Jericho), Joe Montegna (Le Parrain 3, Radio Rebels) ou encore John Spencer (The Rock, Présumé Innocent), … Bref, du lourd qui en plus s’implique à fond dans les personnages. Après la mise en place du scénario des plus intéressante, Albino Alligator se transforme en polar psychologique. Le film fait monter la pression, doucement, longuement… On attend qu’il se passe réellement quelque chose et au final, il ne se passe pas grand-chose. Le film ne décolle jamais. Bien qu’on ne s’ennuie pas, on regarde sans grand entrain car le film perd vite la tension que son réalisateur essaie d’instaurer.
Pourtant, Kevin Spacey a essayé de bien soigner son ambiance. Le travail sur la musique est à saluer, très jazzy, semblant sortir d’un polar noir des années 50. Bien que trop sobre, sa mise en scène est maitrisée pour un premier film, avec ce côté étouffant de ce lieu sans aucune fenêtre, presque renfermé sur lui-même, ou ces longs plans fixes sur les personnages, presque immobiles, mais pourtant ô combien expressifs. Sauf qu’il n’exploite pas vraiment réellement les possibilités qu’offrent un huis-clos. Albino Alligator va d’un point A à un point B de manière très linéaire. Le seul rebondissement du film nous fait l’effet d’un pétard mouillé car, au final, la léthargie nous a presque déjà gagné et ce n’est pas suffisant pour nous redonner de l’intérêt. Bien qu’il joue avec les faux-semblants, la psychologie de ses personnages et les relations qu’ils ont entre eux, ça ne fonctionne pas. Certains sont beaucoup trop stéréotypés pour qu’on s’attarde réellement dessus, d’autres sont tout simplement énervants à prendre des décisions connes comme la lune, ou alors ils sont tout simplement sous-exploités (celui de Viggo Montensen par exemple), voire complètement inutiles (celui de l’inspecteur de Police). L’ambiance parfois décalée, avec des petites touches d’humour, est plutôt réussie mais est plombée par des dialogues trop explicatifs, pas toujours intéressants et qui, couplés à ces longs plans fixes dont je parle ci-dessus, nous donne plus l’impression de remplissage pas toujours utile afin de faire arriver péniblement le film aux 1h30 réglementaires. Clairement, le scénario aurait mérité un peu plus de consistance car, si on accroche bien les 30/40 premières minutes, le film finit très vite par tourner en rond pour s’achever sur un final un peu trop tiré par les cheveux.
Gros succès dans les vidéoclubs durant la deuxième moitié des années 90, cette première réalisation de Kevin Spacey est une réelle déception. Dialogues en demi-teinte, scénario sous prozac, on ressort de cet Albino Alligator avec cette impression de gâchis. Dommage…
Critique originale avec images et anecdotes : DarkSideReviews.com