Il fallait une critique pour commencer cette année 2016. Mon histoire personnelle que le temps emportera dans les limbes immatérielles du net retiendra que le jour de la Mort de Bowie croisa la comète alexandrine, héros si éloignés et pourtant, par certains aspects romantiques, avides d'explorer de nouveaux territoires et bien au-delà de leurs regards vairons, parfois proches au point de titiller Mars.
Cet Alexandre est fondamentalement très différent de la lecture d’Oliver Stone. Assez étrangement, Alexandre le Grand a peu été adapté au cinéma. Il faut dire que ce Héros est pour le moins ambigüe et que sa geste, parfois assez misérablement illustrée comme celle d’un surhomme affrontant des hordes de barbares perses efféminés, a de quoi refroidir moult ardeurs. Homme complexe, torturé, capable des pires exactions, Alexandre était bisexuel, ivrogne, visionnaire, génial, détestable, fascinant, fou, bref un Achille en bonne et due forme.
Cette adaptation vaut, comme celle de Stone, plus pour ce qu’elle dit de son époque que pour analyser cette épopée sauvage. D’un point de vue historique, les raccourcis et erreurs sont légions, des uniformes, ce qui est accessoire, aux faits, ce qui est bien plus embêtant. A titre d’exemple, Roxane, femme du Roi, devient la fille de Darius III là où elle était en réalité celle d’un aristocrate bactrien (nous dirions aujourd'hui afghan), Oxyartès. Loin d’être la femme de la fusion des cultures proposée par Darius, elle fut la récompense d’une dure campagne et le gage d’une paix sur ses arrières. D’ailleurs, s’il a pu aimer cette femme, Alexandre eut surtout pour amour Hephestion, son compagnon, son Patrocle. Dans cette adaptation de Rossen, dans cette Amérique des années 1950, dur dur de traiter de bisexualité. Il suffit de voir la volée de bois vert que s’est pris Stone dans sa version de 2004 qui ne cache rien de cet amour pour comprendre le choix de Rossen. Parmi les autres problèmes historiques la difficulté de se repérer dans le temps, la fusion des batailles d’Issos et de Gaugamèles, l’ellipse totale consacrée à la dernière partie du règne (le film devait initialement faire 3h), aux conquêtes indiennes par exemple. Après tout ceci n’est pas bien grave. Gladiator est bien pire et Pearl Harbour de M.Bay a bien effacé la paralysie de F.D.Roosevelt …
Assurément, comme objet de cinéma, cette œuvre mérite d’être redécouverte. Globalement la reconstitution est assez spectaculaire et c’est un vrai plaisir de voir des myriades de figurants. Ce n’est pas à la hauteur du Cléopâtre de Mankiewicz ou de La Chute de l’Empire Romain de Anthony Mann, mais les 2h20 passent plutôt bien, alternant scènes intimistes et vaste batailles assez réussies dans leur genre. Le casting est évidemment capital pour une telle histoire ; Harry Andrews campe un Darius III assez sobre. Fredric March est tout à fait prenant en Philippe ivrogne, Peter Cushing, avant de disparaître dans l’Etoile Noire, offre un rôle de choix à Memnon. Le casting féminin est aussi plutôt juste, Danièle Darrieux et Olympias et Claire Bloom en Barsine apportant leurs touches à un jeu très classique mais assez convaincant.
La part du Lion de Macédoine (le lecteur est prié de sourire au calembour) fut offerte au génial Richard Burton. Ne cherchez aucune demi-mesure dans mon propos. Même en blond peroxydé, je reste un fan absolu de cet acteur fantastique. Son charisme écrase toute concurrence, au point que les Compagnons, pourtant essentiels dans la geste alexandrine, ce que Stone a bien mieux mis en avant en 2004, n’existent pas. Car tout est Alexandre. C’est à la fois la force et la faiblesse de cette superproduction. Plus que d’Alexandre le Grand, le propos est celui d’une réflexion sur le pouvoir, sur la solitude, le despotisme, la perte des illusions, le tout teinté de réflexions visiblement très personnelles de Rossen sur son époque.
Clairement, quant au contexte, Démosthène parle plus de la chasse aux sorcières, du despotisme du sénateur McCarthy que d’Alexandre. La Guerre Froide est là, dans cette confrontation d’empire et il est assez étonnant de constater que les Perses et ce touchant Darius, finalement, s’en sortent plutôt bien face à cet Alexandre dévorant d’ambition et au final aussi détestable que son père. On aurait pu s’attendre à moins de subtilité avec des méchants biens méchants or, justement, Rossen brosse un portrait assez ambigüe et, partant, assez intéressant. Staline est mort, on est en pleine Coexistence Pacifique, c’est assez clair en filigrane pour peu qu’on sache le chercher. C’est aussi ici que le film trouve ses limites. Théâtral quant aux discours, d’un découpage parfois trop rapide – la première partie est beaucoup plus réussie dans son approche père fils que la conquête météorique -, manquant de souffle et d’une réelle émotion finale, seul, finalement, Burton emporte totalement l’adhésion.
Ce n’est pas grandiose mais la marche pour Alexandre semble décidement trop haute pour le cinéma. Un film qui n’en reste pas moins intéressant et dont la note ici me désespère. Qu’Alexandre reste dans les étoiles, torves et complexes, avec Bowie.