La reprise en main de la franchise Alien par son créateur en avait déçu plus d'un, en grande partie en raison des réécritures de dernière minute de Damon Lindelof qui, a quelques bonnes idées près, ont clairement endommagé le script de Jon Spaihts. Pourtant, le relatif succès du film en salles puis en vidéo permet à Ridley Scott d'envisager sereinement une suite à son faux prequel. Le résultat achèvera de lui mettre à dos une partie des fans du xénomorphe. Covenant s'impose pourtant comme une nouvelle proposition passionnante de science-fiction adulte, poursuivant les dimensions iconoclastes et misanthropes du cinéma de Ridley Scott.


Alors que la plupart des grands cinéastes, en vieillissant, nous ont habitués à livrer des opus apaisés, méditant sur le temps qui passe et la mort, Ridley Scott s'inscrit en défaut avec un film d'une noirceur et d'une violence inattendue et de fait assez unique dans le paysage cinématographique contemporain. Malgré une ouverture très proche des précédents opus de la saga, le film opère rapidement un pas de coté où Scott s'amuse à pervertir les codes de son chef d’œuvre et de sa créature fétiche. Désormais, les Aliens éclatent l'épine dorsale de leur hôte ou leur font régurgiter leur appareil digestif dans des séquences graphiques particulièrement horribles. Le film s'inscrit ici dans la continuité de Prometheus et de son « enfer génétique », les sources de contamination semblant survenir de partout et les conséquences en terme de mutation aussi diverses que terribles.


Mais c'est lors du second acte que le film prend véritablement toute son ampleur. Nous présentant un David rendu encore plus inquiétant par dix années de solitudes et d'expérimentations en tout genre, cette partie distille une atmosphère étrange, entre horreur gothique et civilisation antique dégénérée. Assisté par la sublime photo de Dariusz Wolski, Scott laisse libre cours à ses inspirations picturales et littéraires, passant de l'Ile des morts de Böcklin, à Richard Wagner ou encore à la poésie romantique. L'horreur suffocante provoquée par cet acte est en grande partie dû au personnage de David dont on comprend que son rêve de création et sa détestation des hommes (et des ingénieurs) incapables de lui apporter les réponses à ses questions l'ont conduit à mener des expériences encore plus perturbantes que celles révélées dans Prometheus. Scott détourne habilement un des thèmes récurrents de la saga, celui de la maternité. Si on a beaucoup glosé sur le symbolisme entre le cycle de reproduction de l'Alien et la maternité, l'incapacité à enfanter (et donc a créer) était aussi présent dans Prometheus. C'est désormais David qui se retrouve dans le même cas de figure qu'Elizabeth Shaw, incapable d'achever sa création, un androïde ne pouvant enfanter l'être parfait qu'il a crée.


Si cette nouvelle saga est évidemment reliée à Alien, il ne faut pas négliger les rapports qu'elle entretient avec Blade Runner, l'autre monument de la science-fiction que l'on doit au cinéaste anglais. David eût été un parfait androïde de la Tyrell Corporation, « plus humain que l'humain » et s'impose comme un descendant parfait à Roy Batty. On apprend au détour d'un dialogue que la première génération d'androïdes dont est issu David a posé de nombreux problèmes en raison de sa trop proche proximité avec la personnalité humaine, ce qui a conduit Weyland a créer de nouvelles générations d'androïdes plus impersonnels, aux sentiments moins marqués. Après dix ans de solitude, la personnalité de David semble plus ambiguë encore, notamment sur sa relation avec Shaw qu'il n'hésite pas à qualifier d'amour malgré le sort qu'il, on le comprendra plus tard, lui a réservé. En plus de buter sur son incapacité à créer, David semble en recherche d'altérité. Ce n'est pas un hasard si chaque personnages du film est en couple, y compris un couple homosexuel, élément souligné très discrètement par Scott. Cela explique aussi la tension presque homo-érotique entre David et son alter ego Walter lors de la fameuse scène du « doigté ».


Après ce formidable second acte, le film semble partir dans une direction qui intéresse nettement moins Scott, comme si la Fox lui avait imposé un dernier acte « remake » de son chef d'oeuvre matriciel pour s'assurer une rentabilité commerciale du film. De fait, la promotion du film s'est intelligemment concentrée sur la première et dernière partie du film, vendant une simple resucée du film de 1979 et dissimulant le contenu principal du film. Ici l'Alien est plus désacralisé que jamais, devenu une sorte de Freddy Krueger cherchant à faire sursauter l'adolescent en manque de frissons. Toutefois, cette partie n'est pas totalement déconnectée du reste du propos de Scott. Alors que l'Alien du premier film se déplaçait avec une forme de majestée, de lenteur lui conférant une sorte de tranquillité à l'image d'un ange exterminateur, annonciateur d'une mort inéluctable, l'Alien est ici hyper rapide, agile et semble s'adapter à une vitesse impressionnante à son environnement. Paradoxalement, l'agent mortel sans morale et conscience vanté par Ash laisse place à une créature roublarde qui ménage ses effets et semble parfaitement conscient de ses actes. La plus mauvaise idée du film est sans doute cette vue subjective de l'Alien, blasphème détruisant un des grands mystères de la créature. Comme un pied de nez de Ridley Scott au fan venu prendre confortablement sa dose de fan service paresseux ? Vu le contenu qui a précédé, difficile de ne pas y penser.


Porté par des thématiques fascinantes, par l'interprétation monumentale d'un Michael Fassbender qui livre sans doute sa meilleure prestation dans ce double rôle passionnant et par la mise en scène de l'esthète Ridley Scott dont le cinéma n'a jamais été aussi noir, Alien : Convenant semble être un OVNI inclassable dans la production actuelle. Le scénario de l'opus suivant serait déjà prêt mais le rachat de la Fox par Disney laisse perplexe sur les chances de voir un jour se concrétiser la suite de la saga misanthrope de Scott. Nul doute que la firme aux oreilles de Mickey lui préférera la mise en chantier d'un « vrai » remake flemmard avec des adulescents métrosexuels comme héros.

ValM
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le 11 juin 2020

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ValM

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