Asperge le mytho
Le dédale nous égare : Ridley Scott, en retournant à ses premiers amours, ne nous en facilite pas nécessairement l’accès : retour du monstre, suite de son prequel, quête des origines, récit fondateur...
le 12 mai 2017
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Alien : Covenant. Là on s'attaque à de la polémique ! Dès sa sortie, le nouvel opus de la saga Alien et rejeton de Prometheus avait fait l'objet de vives critiques. Pour ma part, j'ai découvert cette saga l'année passée et avais apprécié la plupart des films, y compris Prometheus ainsi que (et particulièrement) Covenant. Si le film me paraît assez réussi c'est parce que, en plus de le trouver prenant et bien mené, il revient à l'essence des films originaux tout en s'émancipant de ces derniers. Car oui, si Covenant marque le grand retour du Xénomorphe, celui-ci se voit voler la vedette par un personnage de Prometheus : j'ai nommé David.
En effet, le film s'ouvre sur une séquence des plus intéressantes mettant en scène le personnage de Michael Fassbender, tout juste mis en service, et son créateur, Weyland. Au cours de cette conversation, l'androïde choisit son nom en s'inspirant d'une statue du David de David contre Goliath (statue dont semble s'être inspiré David des années plus tard, lors de ces expériences scientifiques, puisque l'on voit dans son laboratoire un mannequin reprenant la même posture) et fait déjà preuve d'une certaine arrogance (ou devrais je dire supériorité ?) à l'égard de Weyland. Cette scène d'introduction permet d'expliquer les motivations qui ont poussé ce dernier à organiser l'expédition menée par le docteur Elizabeth Shaw et fait donc le lien avec Prometheus. De plus, sans nous le dire explicitement, elle nous donne un premier indice quant à la direction que s'apprête à prendre le film : bien que ce nouvel opus s'affirme comme étant un nouvelle pierre à l'édifice de la saga initiée en 1979, en reprenant dans son titre le fameux "Alien", Covenant semble, encore une fois, orienter le feux des projecteurs non pas sur le Xénormophe, qu'il réintroduit au devant de la scène (la promotion du film jouait quasi-exclusivement sur cela), mais sur le seul survivant de l'équipage du Prometheus. Pour rappel, après avoir rencontré les Ingénieurs, Elizabeth et David décident de se rendre sur la planète de ces derniers afin d'avoir les réponses à ces grandes questions : d'où viennent les hommes et pourquoi ont-ils été créés ? Cependant, une fois sur place, David s'est chargé de la population locale sans tergiverser. En réalité, ce qui fascine David ce n'est pas ceux qui l'ont créé, ni même ceux qui ont créé ceux qui l'ont créé, mais de devenir lui-même créateur, que ce soit par l'art au sens large (l'androïde est amateur de musique et de dessins) ou par la science. On peut noter ici le choix judicieux de mots de la réplique d'Oram, le capitaine du Covenant : "you engineered these, David?" ("c'est toi qui a créé ça [le bestiaire], David ?" en français), qui renvoi aux Engeneers (les Ingénieurs). Rien d'autre n'a d'importance à ses yeux et il est prêt à sacrifier la vie de qui que ce soit pour assouvir son besoin de créer (les années d'isolement n'ont pas aidé car, dans le film précédent, il avait tout de même sauvé Elizabeth et son compagnon d'une tempête). David fait donc preuve d'une détermination sans faille. D'ailleurs, Walter, l'androïde de l'équipage du Covenant, lui explique qu'il "dérangeait les gens" car il "était trop humain, trop particulier" et que les modèles Weyland plus récents ont été créés avec "moins de complications", incapables de créer ou de penser par eux-mêmes. Il y a donc eu une sorte de marche arrière, qui se ressent à plusieurs occasions, notamment lorsque David parle de ses rêves ou de ses sentiments, choses qui semblent inconcevables pour Walter. À ce propos, après que ce dernier découvre ce qui est réellement arrivé à Elizabeth, le spectateur réalise que les sentiments que David revendiquait à son égard étaient un mensonge, soulignant le côté menteur et manipulateur de l'androïde. Cependant, affirmer qu'il soit dépourvu de sentiments me paraît fort de café car il semble, au contraire, éprouver une certaine affection pour les créatures qui sont issues du virus. On constate cela notamment lorsque Oram tire sur une forme hybride de Xénomorphe ou durant la scène de la naissance (qui est, au passage, un peu trop rapide par rapport au 8ème Passager) du premier vrai Xénomorphe ("sometimes to create, one must first destroy" disait déjà David dans Prometheus). De plus, pour revenir sur sa relation avec Elizabeth, certaines scènes du précédent film montrent qu'il éprouvait des sentiments. Enfin, il exprime un certain soulagement lorsqu'il constate que Daniels, le personnage principal (ou pas ?) de cet opus, est sortie indemne de son affrontement avec le Xénomorphe.
Selon moi, les échanges entre Walter et David constituent les scènes les plus intéressantes du film, sans compter qu'elles sont assez troublantes dans la mesure où les deux personnages sont incarnés par (deux) Michael Fassbender, donnant une impression de jeu de miroir aux reflets imparfaits, les deux androïdes étant si similaires et si différents à la fois. Néanmoins, malgré le fait que j'ai beaucoup apprécié l'arc de David, qui n'est pas sans rappeler celui de Roy dans Blade Runner (en guise de rapprochement, nous pouvons mentionner les baisers inexpressifs ou le fait que, dans les deux films, l'androïde détruit leur/des créateurs), je ne peux m'empêcher de trouver Covenant assez frustrant car il n'approfondit pas les thématiques de Prometheus, du moins pas celles qui étaient au cœur du film : Covenant décide de se focaliser sur le thème de l'intelligence artificielle, aspect qui a toujours été présent dans la saga. Or, Prometheus, bien qu'il introduit le personnage de David, dans lequel ce dernier faisait déjà preuve d'une curiosité malsaine assez mal amenée étant donné que ses motivations nous paraissaient vagues, est d'avantage centré sur les origines de l'humanité avec les Ingénieurs. À ce sujet, Ridley Scott avait déclaré avoir été surpris par le fait qu'aucun des films qui ont suivi le 8ème Passager n'abordaient cette question : avec Prometheus, il a saisi l'occasion d'approfondir cette dimension de la saga. Cependant, Ridley Scott n'a eu d'autres choix que de se rabattre sur le personnage de David, éclipsant les Ingénieurs de la trame scénaristique de Covenant, en les éradiquant purement et simplement. Le choix d'avoir couper en grande partie la scène durant laquelle l'un des Ingénieurs sort de son hyper-sommeil est également étrange car le fait de ne pas le voir parler rend le propos de Prometheus creux : les symboles trouvées dans les quatre coins du monde renvoient bien à une planète mais, une fois sur place, on est pas plus avancé, malgré la présence de nos potentiels créateurs et le fait que leur ADN soit le même que le notre. La version longue de ladite scène n'apporte pas grand chose mais rend la quête moins vaine. De plus, si la ré-introduction du Xénomorphe est en raccord avec l'arc de David, j'ai tendance à penser que Ridley Scott aurait peut être mieux fait de raconter l'histoire de ce dernier dans une trilogie inédite, sans rapport avec la saga Alien car la direction que prend ces deux films semble très différente des précédents films, dans lesquels le Xénomorphe était au centre de l'intrigue. Si suite à Covenant il y a (ce qui est actuellement compromis), celle-ci pourrait très bien ne pas mettre en scène le fameux alien. C'est d'ailleurs ce que nous laissent à penser les derniers propos du réalisateur à son sujet. Ayant, encore une fois, bien apprécié le personnage de David, je ne peux que me réjouir à cette perspective, d'autant plus que cette suite (ou l'un des films qui la suivront) pourrait être l'occasion de boucler la boucle en nous expliquant (enfin) la raison pour laquelle l'équipage du Nostromo a été envoyé sur une planète inconnue, à son insu, pour ramener le Xénomorphe sur Terre : un véritable retour aux bases de la saga en somme ! Cela s'inscrirait dans la droite ligne tracée par Covenant, qui met en scène un équipage qui, après avoir capté un signal, est obligé de se rendre sur une planète inconnue pour trouver sa source (ce qui fait forcément penser au premier film de 1979) et dans lequel le Xénomorphe est une nouvelle fois décrit comme étant "un organisme parfait". Certains considèrent même que Daniels se veut être la nouvelle Ripley. Pour ma part, je ne partage pas cette opinion car je trouve que le personnage de Katherine Waterston n'est pas assez charismatique ni mis en avant.
Ainsi, tout en reprenant certains éléments de la saga, Covenant explore, tout comme Prometheus avant lui, de nouvelles pistes, qui semblent s'éloigner de ce à quoi les films Alien nous avaient habitué jusqu'ici, mais qui pourraient, à terme, apporter des réponses aux questions laissées en suspend depuis le premier film. Ce dernier opus s’apparenterait donc à une sorte de contournement ou de dérive dont le principal objectif consisterait à mettre en place une base solide pour ensuite revenir aux fondamentaux. Prometheus semble également s'inscrire dans cette logique. Cependant, en raison du fait que Covenant le prenne à contre-pied en balayant, le temps d'une scène, le cœur de son intrigue, le film de 2012 s'apparente plus à une tentative ratée. Ratée certes, mais nécessaire étant donné que sans elle Covenant n'aurait pas eu lieu d'être. Ridley Scott tente donc, selon moi, de corriger le tir via l'intermédiaire de David pour faire le lien avec le 8ème passage. Après, ce n'est que de la pure spéculation (d'où mon souhait de découvrir ce que compte faire le réalisateur avec l'androïde) !
Pour revenir à la comparaison que j'ai commencé plus haut avec Blade Runner, on peut également avancer l'idée que Roy et David sont des personnages antagoniques car, contrairement au répliquant, l'androïde, d'une part, ne peut pas mourir et, d'autre part, ne cherche absolument pas à ressembler à un être humain. Pour illustrer ce propos, le dialogue qu'il échange avec Charlie, le compagnon d'Elizabeth, dans Prometheus semble tout désigné : "- David, pourquoi tu portes une combinaison ? Tu ne respires pas, tu te souviens. - J'ai été conçu ainsi parce que vos semblables sont plus à l'aise lorsqu'ils interagissent entre eux. Ne pas porter de combinaison aurait pour conséquence de compromettre l'objectif. - On s'approche de plus en plus du "modèle", hein ? - Pas trop j'espère.". Au contraire, David affirme même clairement vouloir empêcher le renouveau de l'espèce humaine, estimant qu'elle ne mérite pas une seconde chance. Or, la quête poursuivie par Roy consiste à rallonger sa courte existence ("I want more life, father" disait-il à Tyrell juste avant de le tuer dans sa déception), les répliquants ayant été créés pour ne vivre que quatre ans. De ce fait, il voit en son créateur une chance de résoudre ce problème et porte donc un certain intérêt à son égard. D'une certaine façon, Roy dépend des hommes. Avec David, Ridley Scott explore donc un autre aspect de l'intelligence artificielle. En revanche sur le plan de la force physique et de l'intellect, les deux personnages apparaissent comme étant similaires. Pour en terminer avec la comparaison des deux films, on peut également remarquer que le premier plan de Covenant (plan fixe sur l’œil de David) ressemble beaucoup à celui de Blade Runner (et à celui de 2049 par la même occasion), constituant ainsi le premier indice quant à la direction thématique que s'apprête à prendre le film.
En somme, contrairement à la plupart, je trouve qu'Alien : Covenant est un opus intéressant, bien qu'il n'apporte aucune réponse aux questions laissées par Prometheus, choisissant de développer le personnage de David, tout en réintroduisant le Xénomorphe, et la tension qui va avec (même si, sur ce point, il est loin d'être au niveau des films précédents), et j'espère qu'une suite verra le jour ! 7.5/10 !
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Créée
le 22 mars 2018
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