L'Harmonie du Chaos [critique de l'exposition]

La bande annonce de Manifesto m'avait grandement intrigué et c'est avec une certaine surprise que j'appris qu'il s'agissait en fait d'une exposition (le film devrait sortir un jour prochain) ! Curieux de découvrir cette expérience, je suis donc allé aux Beaux-Arts de Paris pour voir de quoi il en retournait !


Ne sachant pas vraiment à quoi m'attendre (l'expositon allait-elle s'organiser sur plusieurs salles ? Consistait-elle à projeter un film sur un écran unique où Cate Blanchett interprète successivement plusieurs personnages ?), je fus assez surpris de découvrir une vaste salle parsemée d'écrans, devant lesquels étaient disposés des bancs, au dessus desquels on trouvait des enceintes et des projecteurs ! On rentre donc dans un vacarnaüm car, bien qu'une fois assis sur un banc on entend bien le court film auquel on fait face, on entend ici et là des bribes sonores des autres films : l'exposition est donc avant tout une expérience sonore car 13 films coexistent dans une même salle ! Celles et ceux qui connaissent le musée de la Piscine de Roubaix, dans lequel des bruits de vestiaires d'enfants ponctuent régulièrement la visite (c'est d'ailleurs assez surprenant et perturbant la première fois), peuvent se faire une vague idée de la sensation dont il est question ici ! Cela peut donc faire fuir car on se demande dans quoi on s'embarque au moment où l'on rentre dans la salle ! Personnellement je n'ai pas vraiment eu besoin de m'accrocher tellement j'étais curieux et enthousiasmé par ce qui se présentait devant moi !


Il faut aussi préciser que les films ne sont pas sous-titrés et qu'ils ont préféré faire une traduction des textes dans un petit fascicule ! Me débrouillant en anglais, je ne me suis pas senti totalement démuni mais les textes sont très abstraits et l'entreprise de lire la traduction, à la lumière de l'écran, en même temps que regarder le film, se veut en réalité assez compliquée : celui qui n'a pas un assez bon niveau en anglais risque donc de ne pas aimer et de s'ennuyer (quoi qu'après réflexion, celui qui est suffisamment intrigué peut réussir à apprécier l'exposition : la compréhension de ce que disent les films peut être mis au second plan si je puis dire) ! Après je pense que ce choix s'explique par le fait qu'ils ont considéré que mettre des sous titres reviendrait à faire un graffiti sur un Picasso !


Manifesto est certes une expérience sonore mais c'est également une expérience visuelle car dès qu'on tourne la tête, ne serait ce que du coin de l'œil, on tombe sur une nouvelle facette de Cate Blanchett ! Ah ! Cate Blanchett ! Quel caméléon ! Si on pourrait s'imaginer une version de Manifesto avec Tilda Swinton en sortant de l'exposition, il faut bien reconnaître que Julian Rosefeldt a vu juste en choisissant l'actrice australienne : que ce soit au niveau de son accent, de son maniéré, de ses expressions, chacune de ses prestations se démarque des autres ! Je me suis également amusé à prendre une vue d'ensemble à différents endroits de la salle car à chaque fois le résultat était différent et surprenant, particulièrement lorsque que Cate Blanchett s'adresse directement au visiteur/spectateur en prenant une voie plus aiguë que d'ordinaire, le temps de quelques lignes ! A ce moment précis, Manifesto devient à la fois une expérience visuelle et sonore car Rosefeldt a réussi à synchroniser 13 films le temps de quelques secondes, secondes durant lesquelles "toutes" les Cate Blanchett se "déconnectent" et brisent le quatrième mur ! L'exposition est certes une véritable expérience sonore et visuelle mais je trouve qu'à ce moment, l'Expérience atteint son paroxysme car d'une part, la combinaison de ces 13 voix synchronisées est semblable au chœur d'une chorale, tel un chant d'église, et d'autre part, si on jette un coup d'œil aux autres écrans, on voit différentes Cate Blanchett nous fixer, ce qui peut mettre mal à l'aise tant le rendu est oppressant ! La performance technique et d'autant plus remarquable quand on sait que les films sont en quelques sortes indépendants les uns des autres car ils ne commencent ni ne se terminent en même temps ! Je n'ai pas encore vu le film, qui, je suppose, est une compilation des 13 films qui s'enchaînent à la suite, et que je compte voir (avec des sous titres cette fois) mais je peux affirmer sans trop prendre de risque qu'il n'arrivera pas à retranscrire ce qu'a réussi à faire Julian Rosefeldt : celui qui regarde le film sans avoir fait l'exposition au préalable ne va pas comprendre pourquoi soudainement, dans chacun des films, Cate Blanchett se met à parler d'une voie aiguë en regardant fixement la caméra !


Pour revenir sur "l'indépendance" des films, je trouve que Rosefeldt a, là aussi, bien géré car une fois qu'on a fini un film, qui repart depuis le début instantanément, on passe à un autre écran mais le film peut être au beau milieu ou même à la fin ! Cependant, on reprend vite le fil, si bien que ce n'est pas si important de commencer par le début : pour cela, je trouve que les films sont assimilables à des boucles (on quitte le film là où on est arrivé sans que ce soit gênant) ! D'ailleurs, l'un d'entre eux commence et se termine par le même plan ! De plus, il n'y a pas vraiment d'ordre à suivre : le visiteur peut commencer par regarder le premier film qui se présente à lui pour ensuite se diriger vers l'écran qui est à l'autre bout de la salle, salle qui n'est d'ailleurs pas si grande car deux films sont projetés de chaque côté d'un même écran, ce qui permet de concentrer mieux le son ! La disposition des écrans est donc loin d'être aléatoire !


Autre aspect assez remarquable de l'exposition, c'est qu'au fur et à mesure qu'on avance, le brouhaha sonore devient peu à peu plus harmonieux dans le sens où, au début, dès qu'un son se démarque des autres (j'ai par exemple en mémoire une musique qui est jouée lors d'un enterrement dans l'un des films, qui n'arrêtait pas de revenir à mes oreilles), on est incité à jeter un coup d'œil à la source/au film d'où il provient, mais une fois arrivé vers la fin, on sait d'où provient tel ou tel son ! Je me suis d'ailleurs amuser à fermer les yeux pour écouter et j'ai trouvé ça (bizarrement) très harmonieux !


Il faut également souligner l'importance du travail au niveau de l'écriture des monologues, qui sont composés de différents extraits de textes d'intellectuels et artistes tels que Tristan Tzara, Claes Oldenburg, Filippo Tommaso Marinetti ou Manuel Maples Arce (ouais ouais je fais genre mais en vérité je n'en connaissais quasiment aucun) car il y a un sacré travail de recherche derrière ! De plus, le travail au niveau du découpage et de la combinaison des textes mérite d'être mentionné car le propos de chacun des monologues m'a semblé tout à fait cohérent ! Enfin, il a fallut chercher les mises en scènes/situations à travers lesquelles les textes pouvaient le mieux "prendre vie" !


Quant à la réalisation des films en tant que telle, j'ai trouvé qu'elle était très bien maîtrisée et j'ai beaucoup apprécié son esthétisme (la séquence "vue plongeante" sur l'escalier en colimaçon, qu'on aperçoit dans la bande annonce, est une claque visuelle) ! Dans le soucis de synchronisation mentionné plus haut, on note toute fois quelques plans assez longuets, qui permettent de rallonger le film mais qui traînent un peu en longueur ! Cependant d'une part, il n'y en a pas beaucoup et, d'autre part, on ne peut pas s'ennuyer car il suffit de regarder un autre écran à proximité en attendant !


Vous l'aurez compris, cette exposition, qui mêle le son et l'image, les talents de Cate Blanchett et de Julian Rosefeldt, est un délire et je pense que tout le monde n'accrochera pas mais pour ma part, je pense qu'il s'agit de l'exposition la plus originale que j'ai pu voir ! 9/10 !

vic-cobb

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