Asperge le mytho
Le dédale nous égare : Ridley Scott, en retournant à ses premiers amours, ne nous en facilite pas nécessairement l’accès : retour du monstre, suite de son prequel, quête des origines, récit fondateur...
le 12 mai 2017
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Texte originellement publié sur ScreenMania le 08/05/17 :
https://www.screenmania.fr/film-critique/alien-covenant-ridley-scott-2017
En revenant à l’expérience séminale et matricielle d’une saga complexe, Ridley Scott développe Alien: Covenant comme une nouvelle chimère. Le fruit de Prometheus n’est finalement pas tant que cela sa suite, davantage élément programmatique d’une nouvelle licence, constituée par autant de parallèles que de croisements. Faisant jaillir de nouveau l’esprit d’une série B acerbe, sans pitié et, d’une manière ou d’une autre, jusqu’au-boutiste dans son esprit, le film de Scott a de quoi déstabiliser ; tantôt brillant, tantôt raté, la création finale est curieuse, comme une manipulation génétique qui a mal tourné, et à laquelle, pourtant, on ne peut soustraire notre regard.
La séquence d’ouverture d’Alien : Covenant est fascinante. Dans une certaine austérité visuelle, parfois tout à fait scottienne, David (Michael Fassbender) rencontre son créateur Peter Weyland (Guy Pearce). Tout l’acte prométhéen se télescope d’un coup, au dialogue suivant la nativité de l’androïde. Ridley Scott dépasse d’emblée toutes les considérations habituelles autour de l’intelligence artificielles, dont il a fait maintes fois le tour depuis Alien : le huitième passager, et surtout Blade Runner. Ce qui intéresse Scott, et c’est absolument là que réside l’enjeu central d’Alien: Covenant, ça n’est pas tant de s’interroger sur la plausibilité que David ait une conscience, mais plutôt comment il la développe et ce qu’il en fait. Weyland est rapidement déstabilisé par son rejeton bio-mécanique, celui-ci lui demandant simplement qui est le créateur de son créateur, comme un curieux déjà bien trop intelligent pour se contenter des banalités humaines. Déçu de sa confrontation avec sa figure paternelle (récurrence chez Scott), David (se nommant par ailleurs lui-même d’après la statue homonyme de Michel-Ange – au passage modèle du design des Ingénieurs) cultive déjà une supériorité non seulement bien méprisante, mais plus encore, implacablement logique. Alien: Covenant se place alors dès le départ sous le signe d’un film misanthrope, reprenant une perspective de noirceur certaine, à l’instar de Cartel.
L’émancipation de Prometheus vis-à-vis d’Alien, en dépit de quelques échos, se traduisait par un changement radical de ton et de genre : le film de château hanté à l’imagerie pulp inspirée par Metal Hurlant devenait un péplum stellaire, grandiose, faste, densément mythologique. A l’ère du tout-puissant nostalgisme, c’est justement – entre autre – cette absence de redite qui avait déconcerté. Ridley Scott se plaisait à dire que Prometheus partageait l’ADN d’Alien, tout en étant autre chose. Alien: Covenant marque évidemment l’intention de s’embarquer dans une aventure a priori plus proche de la tétralogie, l’affichant dès le choix du titre[1]. Le film compile nombre d’éléments de son univers, dans la direction artistique, l’écriture ou la mise en scène (Scott empruntant par exemple à David Fincher la vue subjective qu’il avait développée dans Alien 3), mais cette citation globale sert pourtant autre chose, un empilement de thématiques passionnantes qui hélas se noie dans l’inanité d’un récit en roue libre. Les apports de John Logan font retrouver le Ridley Scott des grandes tragédies antiques, tout en se dressant face à la vacuité des éléments de l’expédition Covenant.
Ce qui est curieux, en revanche, c’est que l’approche qu’a Ridley Scott vis-à-vis de ses personnages est en un certain sens méta. On se rappelle des directives de l'ordinateur "Mother" dans Alien : le huitième passager : « l’équipage peut être sacrifié », exécutées plus tard par l'androïde Ash (Ian Holm). Contrairement à ce qu’il déployait vis-à-vis d’Ellen Ripley (Sigourney Weaver), Scott ne cultive sciemment aucune empathie, ou presque, vis-à-vis des personnages. Au mieux, ils apparaissent comme agréables (l’occasion de se rappeler, de nouveau, le « vous avez ma sympathie » du même androïde Ash), sinon interchangeables, ou plus simplement des souris enfermées dans un laboratoire d’expérimentations. Il joue justement avec le personnage de Daniels (Katherine Waterston), d’apparence héritière de Ripley, mais sans son intensité, sans sa combativité. Il y avait un intérêt dans Alien : le huitième passager, à développer patiemment et en profondeur tous les personnages : après tout, il fallait attendre plus de la moitié du récit avant de voir se dessiner l’héroïne, alors inconnue, quand la logique classique voulait qu’il s’agisse du capitaine Dallas (Tom Skerritt). Scott, bien trop conscient d’une recette qu’il a lui-même développée, d’ores et déjà éculée, la devance et la renverse complètement. L’idée est en quelques sortes bien vue, mais hélas se paye au prix d’une trame trop inconsistante, qui justement, n’a pas réellement de recul sur ses personnages. Comme si le studio, ou le reste des scénaristes n’avait pas réellement saisi que finalement, le nihiliste Scott, comme Ash, comme David, méprisait désormais les non-synthétiques.
Alors, on ne peut blâmer Ridley Scott de ne pas avoir écouté son vieux compatriote Hitchcock et ses enseignements sur l’antagoniste du récit, puisqu’ici, David en est définitivement la star. Plus intéressant encore : Walter, son double[2]. Alors qu’il faut quasiment que ce soit l’androïde qui génère le plus d’empathie, il est amusant d’entrevoir ce dédoublement de personnalité, entre ange et démon. Le temps accordé par Scott au duo est absolument révélateur, dans un scénario pourtant relativement effréné. Chaque confrontation Walter/David est une contemplation fascinante sur la machine. Scott pose alors sa mise en scène, notamment dans une séquence d’apprentissage, filmée avec un discret travelling latéral, qui a encore de quoi donner des leçons au genre. La lumière, toujours si précise, de Dariusz Wolski taille brillamment les intérieurs peu éclairés de ces moments à part, retrouvant la densité dramaturgique de Gladiator – un autre film traitant du double, de fraternité inavouée, de parricide. La perfection de ce grand réalisateur d’atmosphère trouve alors définitivement son intérêt dans les androïdes, comme c’était déjà le cas dans Blade Runner. Car après tout, David, tout être synthétique aryen qu’il est, n’était-il déjà pas le fils spirituel de Roy Batty (Rutger Hauer) ?
Entre les deux clones robotiques, l’aspiration Abel et Cain épouse par ailleurs toute la dimension biblique du film[3]. A bord de l’arche qu’est le vaisseau-dortoir Covenant (nommé d’après le terme anglais, l’Alliance entre Dieu et les hommes, ce que Scott a préalablement mis en scène et questionné dans Exodus : Gods and Kings), des couples convoitent, en colons, un Nouveau Monde (nouvelle récurrence très propre à l’auteur). Le vaisseau prend même des airs de caravelle avec son grand voilage. Mais Alien: Covenant, comme film désillusionné, n’accorde pas à ses pénitents un quelconque salut. A l’instar d’Exodus, c’est une épopée biblique finalement portée par la violence de l’Ancien Testament. Comme Jack et Lily (Tom Cruise et Mia Sara) de Legend, les humains du Covenant tentent de retrouver l’Eden perdu. Mais le méritent-ils, trop assurés dans leur conquête insatiable et leur goût pour la création démiurgique – finalement à l’instar des Ingénieurs ? Il est une fois de plus dommageable que le script éloigne bien des questionnements et enjeux autour de tous les couples présents à bord du vaisseau. C’est symptomatique du film : les thématiques foisonnent et recèlent de nombreuses idées, mais le récit ne parvient jamais à les unifier dans une trame solide, ce qui, quoi qu’on en dise, était le cas de Prometheus, au travers du regard d’Elizabeth Shaw (Noomi Rapace) et bien entendu de David.
Finalement défait de la relative froideur kubrickienne de Prometheus, Ridley Scott se laisse aller dans ses exubérances formalistes. C’est là le rappel que le film est aussi l’œuvre d’un grand maniériste, se plaisant ici à styliser royalement les grands décors construits par Chris Seagers, ancien collaborateur de Tony Scott, remplaçant son chef-décorateur habituel, Arthur Max. On demeure pantois devant un colossal paysage pompéiesque, que hélas la caméra de Scott ne vient pas réellement visiter. Se pose alors, une fois de plus, la question du montage. Bien que Pietro Scalia soit de nouveau aux commandes, les ellipses maladroites ou approximations temporelles persistent, quand certaines séquences semblent ne pas être à leur place originelle (un flash-back qui aurait dû être le prologue), traduisant une production puis une post-production ayant dû être éventuellement compliquées. En témoigne aussi, dans une moindre mesure, l’éviction d’Harry Gregson-Williams à la composition, au profit de Jed Kurzel, ayant déjà officié pour la Fox, et reprenant sans grande ambition (mais efficacement, avouons-le) les thèmes fantomatiques de Jerry Goldsmith.
L’équilibre est alors précaire, entre un film très scottien et l’objet d’un studio. La dernière demi-heure voit s’écrouler de nombreuses promesses, sacrifiées sur l’autel d’une action sans grand intérêt, débordant cette fois-ci d’exagérations visuelles prononcées, et, surtout, d’un relatif manque d’imagination par rapport à tout ce qui était permis à côté. Quand bien même le côté régressif serait voulu comme jouissance personnelle, il est exploité parfois jusqu’à la surcharge, dans un chapitre, collé in extremis à la fin, et sans grande importance dans le récit, retrouvant de manière superficielle une chasse à l’homme avec le xénomorphe dans les coursives d’un vaisseau. Le final, pas des plus malins, se contente d’ouvrir sur une autre saga qui certes, ne va pas forcément là où on pouvait l’anticiper, ce qui est une bonne surprise… mais propose à côté un développement qui est bien curieux, même – et surtout – pour Ridley Scott.
La cohabitation de plusieurs esprits, dans un film devenant alors presque schizophrénique, est tantôt fascinante à observer, tantôt simplement décevante. Alien: Covenant est alors peut-être une œuvre plus mineure de la filmographie de Ridley Scott, variation thématique pas désagréable et toujours bien supérieure à un cinéma hollywoodien dégénéré. Peut-être Scott se rêvait-il en David, citant Ozymandias de Shelley[4] tout en annihilant les Ingénieurs, ces imposteurs divins. « Mieux vaut régner en Enfer que servir au Paradis », complète-t-il plus tard, citant cette fois-ci le Paradis perdu de John Milton. Mais, tout comme David, bien qu’incarnant une forme de perfection, l’erreur n’est jamais bien loin et demeure plausible. L’occasion de rappeler que l’Enfer est pavé de bonnes intentions.
[1] A plusieurs reprises au cours de la production, le titre a changé. Paradise se transforma en Paradise Lost, en référence au texte de John Milton. Puis, Alien : Paradise Lost, commercialement plus viable, avant de devenir enfin Alien : Covenant.
[2] A noter que Walter, double de David, commence par la quatrième lettre en partant de la fin de l’alphabet. La saga Alien a toujours joué sur le nom des androïdes.
[3] Voir : Ridley Scott et la Bible, ScreenMania n°38, mai 2017.
[4] Mari de Mary Shelley, elle-même auteur de Frankenstein ou le Prométhée moderne, œuvre constamment interrogée et mise en perspective dans Prometheus et Alien : Covenant.
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le 8 mai 2017
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