Texte publié originellement le 18/07/2017 sur Screenmania :
https://www.screenmania.fr/film-critique/dunkerque-christopher-nolan-2017


Christopher Nolan en a beau être à son dixième long-métrage, son cinéma semble toujours en quête d’une forme de légitimité. L’auteur de The Dark Knight semble faire tous les efforts du monde pour imposer son style comme une forme de nouvelle post-modernité, à mi-chemin entre un artisanat britannique, qu’il revendique, et un cinéma pompier et solennel. A chaque film, il semble désireux de générer une sorte de synthèse symboliste. Dunkerque n’est pas tant plus un film-somme qu’Interstellar, mais c’est surtout la promesse d’un autre chose, d’une forme d’évolution. Evolution finalement gangrénée par l’égo du cinéaste lui-même.


La bataille de Dunkerque et l’opération Dynamo n’ont pas la même connotation pour nous autres Français, par rapport aux Britanniques. Pour les uns, il s’agit du coup de grâce d’un empire en déclin (l’armée française abandonnée et finalement balayée, sa flotte détruite quelques semaines plus tard par la marine royale à Mers El Kébir) ; pour les autres, c’est un acte de survivance, de salut et de résistance, prologue héroïque à la bataille d’Angleterre. Sujet idéal, donc, pour Christopher Nolan, cinéaste des apparences et du trauma. Il voit dans Dunkerque l’opportunité d’un exercice cathartique, une expérience immersive dans un désastre militaire dont l’enjeu n’est pas autour de considérations stratégiques, mais sur l’instinct de survie. En cela, il épouse par ailleurs l’obsession d’une génération de cinéastes autour d’un cinéma où le ressenti doit se définir par l’immersion : c’était ce que faisait The Revenant d’Iñárritu, autre métrage dont la survie est au centre du dispositif dramatique et cinématographique. Mais l’exercice a ses limites, car il n’est finalement qu’une itération de plus de cinéma à concepts, du cinéma-gadget : comme Memento trouvait ses limites par son concept en lui-même, Dunkerque trouve les sienne non pas dans son sujet, mais dans son traitement. Son film est par ailleurs une variante de la précédente adaptation homonyme de la bataille, signée Leslie Norman, dont il n’hésite pas à reprendre largement certains éléments. La comparaison est intéressante puisqu’elle sert aussi de repère entre deux appréhensions de cinéma de guerre britannique.


Christopher Nolan semble être phobique que l’on puisse échapper à l’aspect impressionnant et grandiose de son cinéma, presque comme un déficit de confiance. C’est un tort : on le sait tout à fait capable de véritables bonnes idées de mise en scène, parfois traitées avec une simplicité essentielle (la scène des rondins dans son excellent remake Insomnia) et Dunkerque l’illustre encore parfaitement bien. L’ouverture décrit une course-poursuite entre un petit escadron de soldats anglais, paumés dans les rues de la ville, se faisant tirer comme des lapins par un ennemi invisible, hors-champ, presque hors-film. Ils courent, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un, traversant les lignes défensives françaises puis se retrouvant sur la fameuse plage de la catastrophe. En quelques mouvements de caméras, Nolan se recentre sur son sujet (la débâcle du point de vue anglais) mais évoque, comme il se doit, un chaos orbitant tout autour du film (et du lieu de son action), une sorte de cauchemar entourant ceux empêtrés dans une réalité pas moins horrifique. La volonté d’immersion selon Nolan le pousse à repousser toute transition de point de vue, autre que celle d’une poignée de soldats de sa Majesté : en cela, il évite la lubie de l’omniscient, souvent le risque de l’académisme ronflant.


Avec son chef-opérateur Hoyte Van Hoytema, remplaçant heureusement le sinistre Wally Pfister depuis Interstellar, Christopher Nolan et ses caméras IMAX et 65mm s’évertue à dépeindre un tableau éventuellement sidérant par sa largeur (celle du format, celle de l’écran) et sa profondeur (réitérant, comme à l’accoutumée, un refus relatif du trucage en synthèse). C’est là, par ailleurs, le mot-clef convoité par le réalisateur : sidérant. Et c’est là, la fameuse limite dont il était question : plutôt que d’avoir un dispositif émotionnel et formel qui génère une forme de sidération, Nolan cherche directement la sidération. L’ampleur de la reconstitution ne vise non plus à créer une émotion durable, mais au contraire un sentiment éphémère, périssable. Dunkerque est un film qui hurle à son spectateur qu’il est impressionnant, comme l’injonction qui contribuait déjà à gâcher Interstellar. L’artifice passe le temps de quelques séquences, quelques plans franchement bien sentis, il faut le dire, mais s’essoufle sur la durée, comme il essoufle son spectateur. Le problème étant que ledit spectateur n’est plus essoufflé par l’histoire, par le récit, mais physiquement : le film est tellement surmixé, appuyé dans le moindre effet, jusqu’à en finir dépourvu de subtilité (le tic tac pour souligner le suspens, récurrent, quelle originalité) que la sidération laisse place à l’agacement.


Dunkerque symbolise par ailleurs une forme de contradiction dans le cinéma de Christopher Nolan : d’un côté, une histoire certes relativement dépouillée de ses dialogues, où l’on suit la destiné de quelques personnages dans les airs, sur la mer et la terre. De l’autre, cette balourdise absolue du style qui finit par trahir l’intensité de ces expériences intimes. C’est à l’image d’une autre contradiction : une expérience subjective qui flirte éventuellement avec l’horrifique, mais conditionnée par une guerre édulcorée selon son réalisateur, et donc… avec peu d’horreur. Quand bien même c’est le prix à payer pour un film de cette ampleur, le détail nuit à toute l’entreprise. Nolan le compense par le symbolisme, mais il ne fait alors que surligner des traits déjà évidents, quand la viscéralité, irremplaçable, car incarnée par une dimension physique qui fait défaut au cinéma froid de Nolan, manque cruellement.


Ce qui ne manque pas cruellement, en revanche, c’est le compère Hans Zimmer. Alors que Nolan convoite un cinéma pas loin d’un mutique sensoriel, sa collaboration renouvellée avec le compositeur allemand contribue à la pénibilité de l’expérience. Ca n’est pas tant qu’il y ait le choix d’une musique dissonante, plus proche du sound-design qu’autre chose, pourquoi pas, mais plutôt qu’elle soit bombardée au premier plan, catapultée dans les enceintes pour souligner des figures de style déjà évidentes, et déjà pas bien légères. Quel dommage de gangréner l’une des plus jolies scènes du film, celle avec un Spitfire volant en panne-sèche, par une emphase musicale des plus vaines et pompeuses. C’est bien dommage, car le cinéma de Nolan n’a pas besoin de telle béquille, qui semble paradoxalement être un réflexe classique qu’il n’envisage pas d’abandonner. Mais que l’on soit clairs : il n’est pas question de reprocher à Nolan d’être Nolan ; bien au contraire, il faut surtout être déçu que Nolan, se fantasmant en David Lean, se sente obligé de faire encore et toujours le petit malin.

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le 19 juil. 2017

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Lt Schaffer

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