La jetée, une semaine
La mer, un jour
Le ciel, une heure


Trois lieux, de multiples histoires, un seul objectif : s'échapper pour survivre.


Christopher Nolan ne s'embarrasse pas de contexte. Puisque tout le monde connait (désormais) l'histoire, il ne va pas nous la raconter une nouvelle fois. Il va nous la faire vivre. Il va nous la faire vivre comme rarement un film de guerre nous aura fait vivre LA Guerre avec un grand, très grand G.
Le défi est immense parce que réaliser un film de "guerre" est un exercice difficile au vue de la richesse des titres qui compose le genre. De l'enfer d'Apocalypse Now, jusqu'à la quête de Malick dans La Ligne Rouge en passant par Il Faut Sauver le Soldat Ryan...Le genre est riche de grand film, de grande performance et de style.


Mais Nolan a pour habitude de transcender les genres sur lesquels il travaille. Et ce Dunkerque n'est pas juste un film de guerre. C'est l'histoire d'une survie, d'une improbable fuite pour l'espoir. D'un contre la montre pour continuer d'espérer. Dunkerque est un drame humain à l'action ciselée, un opéra bruyant entre destruction, peur et espoir.


Les nombreux partis pris par C. Nolan vont diviser. Le premier, son découpage évidemment. Raconter Dunkerque en jouant sur les unités de temps de chacun des axes est à mon goût brillant et permet de donner une intensité assez fabuleuse pendant les 1h47. Jouer avec cette unité de temps rend le film irrespirable tout du long et ne nuit jamais à sa compréhension.
Le second, les personnages. C. Nolan décide de n'en développer aucun. Ces hommes sont justes des gars de l'armée ou des civils fiers d'aider. Des hommes parmi d'autres, certains vont survivre, d'autres vont mourir. Rien de plus. Et après tout...n'était-ce pas ça la guerre ? Un collectif d'homme où certains allaient au bout et pas d'autres. Ce parti pris ultra-réaliste est à mon sens le plus risqué et il s'accompagne d'une absence totale de contexte. Pourtant le film n’est pas dénué de psychologie et de profondeur. Le personnage d’Harry Styles en est la preuve et la scène dans le bateau coulant suite aux tirs allemands en est le meilleur exemple.


Le film s'ouvre sur une scène d'ouverture magistrale où l'on entre immédiatement dans le cœur de l'étau de Dunkerque. Pas de héros, pas de passé, juste les peurs et les espoirs de militaires pris au dépourvu qui n'ont pour seul espérance "La Patrie". Leur futur ne dépend plus d’eux mais des autres. Des autres que rien ne prédestinait à faire la guerre.


C’est d’ailleurs dès cette scène que l’on comprend que Dunkerque va être une immersion folle dans la guerre. Le bruit des mitrailleuses est assourdissant. Je vous laisser imaginer le bruit des chasseurs allemands qui volent en piquer vers les soldats anglais ou encore les bruits de la ferraille des bateaux à la dérive. Un bruit qui s'éclipse face au silence de l'héroïsme d'un pilote qui, planant, sauvera des milliers d'hommes. Un inconnu, interprété par l'excellent Tom Hardy.
La manière qu'a Nolan de filmer l'aérien est d'ailleurs époustouflante. Déjà dans Interstellar il avait réussi à rendre compte avec brio de la vitesse et des vibrations lorsque Cooper s'échappait vers d'autres cieux. Dans Dunkerque, on n’aura jamais autant vécu de l'intérieur une bataille aérienne.
Puis évidemment…Nolan a encore filmé du réel, avec des vrais avions, avec des vrais bateaux, à Dunkerque, avec de vrais décors ! Ça paraît tellement peu à l’heure du numérique, mais pour un film comme ça…ça change tout. Tout paraît réel parce que tout est réel. C’est une prouesse. Les acteurs ont l’impression, au même titre que nous, d’y être. Ils sont vraiment en train de s’échapper de Dunkerque, cet avion est vraiment un Spitfire avec un moteur Rolls Royce.
A noter que l'immersion est exacerbée par l'invisibilité de l'ennemi. Les Allemands n'existent que par leurs balles, leurs avions et leur présences quasi fantomatiques. Ils rodent tels des ombres entourant la plage renforçant encore plus notre identification aux personnages et le sentiment de vivre cette chasse avec eux.


Vivre. C'est à mon sens le mot d'ordre du film. Faire vivre la guerre comme les soldats et les civils ont pu la vivre et la ressentir. Vivre la peur de la noyade, le stress des tirs, l'effroyable bruit des Stukas allemand, la joie d'apercevoir des bateaux de plaisance et un Spitfire.
Pour nous faire vivre cela, C. Nolan récite, une nouvelle fois, une partition visuelle d'une rare qualité, tellement prodigieuse. Le film est un bloc constant d'une heure et quarante sept minutes où l’image est sans cesse le cœur. Là où Nolan pouvait ne pas mettre de texte, il a mis un regard, un visage, une émotion, un acte. Le film est avare de parole. Harry Styles en serait presque le plus bavard avec une quinzaine de ligne de texte. Tom Hardy doit avoir encore moins de texte que dans Fury Road et Cillian Murphy de même.
Pendant la guerre on ne parle pas, on agit. On survit.


Le récit de cette évasion de l’armée anglaise est une pure réussite visuelle et narrative. Mais encore une fois, le réalisateur britannique arrive à transcender Hans Zimmer. Le compositeur livre une bande-son de quasiment 1h47 lui aussi. Un son qui sonne à nos oreilles comme un minuteur. La musique de Dunkerque accompagne parfaitement ce combat contre le temps. En jouant sans cesse sur le rythme et le niveau sonore, Hans Zimmer souligne avec maestria la fresque de C. Nolan.


Nolan a ce talent de lier parfaitement image et musique, comme pouvait le faire Kubrick en son temps. Cette synchronie de chaque instant, ajoute à l’impressionnante impression d’immersion du film. Dunkerque pourrait être le Gravity du film de guerre. Par moment, on se croirait vraiment être un soldat bloqué dans un bateau à la dérive. On dirait que l’on pilote ce Spitfire poursuivant le Heinkel allemand. On est ce soldat espérant que les tirs allemands, sur ce bateau de fortune, s’arrêtent. Et même ce civil faisant acte d'héroïsme.


Faire vivre et faire ressentir. Plus qu’un récit, plus qu’un hommage. Dunkerque est un film de guerre d’un nouveau genre qui mêle avec brio réalisme, action, humanisme et émotion. L’émotion est d’ailleurs certainement le dernier point à aborder. Et encore une fois…je ne peux que faire preuve d’admiration devant la mise en scène de Nolan. C’est toujours juste. La fin est absolument magnifique. Il finit son film pile au bon moment. Là où beaucoup de film de guerre tirent vers les 2h30, Nolan coupe. Il coupe sec. Le film traite de l’opération Dynamo. Les hommes sont rentrés, 335 000 hommes au total, le peuple les admire. Point. Pas de mélo, pas de grande scène de retrouvailles, ni d’hommages aux soldats. Juste un train, des bières et un article de presse. Mais c’est aussi toutes les émotions que peuvent ressentir les soldats ou les civils au fil des minutes que le spectateur ressent, la peur, l’espérance, l’asphyxie, la honte, la lâcheté et bien d’autres encore.


Evidemment dans tout cela, les acteurs sont brillants. Outre les jeunes Harry Styles (très bon) et Fionn Whitehead (très très bon) et les plus rodés que sont Cillian Murphy et Tom Hardy, Kenneth Brannagh et Mark Rylance sont peut-être les plus brillants. Quand ces types sont à l’image, les scènes dégagent quelque chose de plus, un je ne sais quoi qui touche, qui fait frissonner (« Je reste, pour les français »). Tom Hardy est aussi exceptionnel car, finalement, tout chez lui passe par son regard. Rien que son regard nous fait comprendre ce qu’il va faire. Sauver. Revenir. Se sauver. Y retourner. Se Sacrifier. On comprend tout. Pas besoin de texte.


Dunkerque est un film hors-norme pour une opération hors-norme. Encore une fois Nolan nous faire dire « Qui d’autre aurait pu faire un film sur ce sujet ? » …Une fois qu’on voit Dunkerque, on a bien du mal à imaginer un film sur ce thème avec une autre personne à la barre.
Nolan transcende le genre et les genres. Il propose une nouvelle fois un film aussi époustouflant visuellement que bouleversant émotionnellement.
On en ressort avec l’impression d’avoir vécu quelque chose. Cette idée qu’à Nolan de nous « faire vivre » est pour moi essentiel aujourd’hui car elle défini son cinéma. Chacun de ses films doit être une expérience unique tant pour les acteurs que pour les spectateurs.
Une manière de dire que ses films ne sont pas que des films mais sont surtout des expériences visuelles, émotionnelles, sonores et sensorielles.


Un nouveau bijou du britannique.

Halifax
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le 18 juil. 2017

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