Les dieux de la vengeance exercent en silence, traquant l'immoral au prix de la loi

Sicario c'est surement l'histoire d'une grosse attente et aussi d'un sentiment partagé lorsque l'écran s'est éteint. Partagé, très partagé même sur le coup. Sicario était plein de promesses, doté d'un casting assez original, d'un réalisateur en vogue et d'une vraie ambition.
Denis Villeneuve, ne nous trompons pas, réalise un bon film, par moment même, un très bon film, un film qui ne souffre de quasiment aucune faiblesse sans pour autant s'appuyer sur d'énormes points forts. Car pour moi, Villeneuve, depuis qu'il avait pondu Prisoners et Enemy (qui au delà de mon appréciation personnelle négative, m'avait impressionné), devait proposer quelque chose de mieux. J'en attendais plus d'un mec comme ça. C'est comme avec les Nolan, Tarantino, Fincher, Bay et consorts (cherchez l'intrus), leurs CV nous poussent à en attendre plus. Alors oui, Sicario est un bon film. Mais loin d'être ce qu'il aurait pu/du être.


Il est vrai que Denis Villeneuve réalise magnifiquement bien, il a le goût du bon plan et de la bonne musique. Cette scène d'ouverture est monstrueuse de tension, immersive, millimétrée et accompagnée d'une musique (enfin musique...) en parfaite symbiose. Musique n'est d'ailleurs pas le terme, le film est assez dépourvu de "musique" comme on l'entend de prime abord. C'est quand l'action se forme que Villeneuve impressionne, l'assaut dans le tunnel est indescriptible d'inventivité. Le passage de la frontière est tout aussi génial. Sicario est immersif, les deux heures sont très intelligentes de bout en bout.
Immersif est bien le mot qui sied le mieux à Sicario. IMMERSIF. Bien représenté par cette caméra jamais très loin de l'action, très proche de ce qui se passe, c'est assez fabuleux tout du long. Musique, réalisation mettent assez largement en valeur l'étau se resserrant autour de cette affaire.


Outre l'immersion profonde, Sicario est bien construit et libère une puissance certaine quand il s'agit d'aborder la vengeance et la violence intrinsèque de la pauvreté et de la drogue. Dans un Juarez désabusé et la déconstruction des héros que Villeneuve nous avait présenté jusqu'ici, il propose une véritable histoire de la traque aux narcos.
Qui d'ailleurs est le plus à même d'avoir notre pardon : l'homme qui se venge en tuant un père qui trafique pour assurer la survie de son fils passionné de foot ? Sicario est toujours juste quand il s'agit de présenter le bien et le mal, sans cesse ambigüe, jamais totalement noir, jamais totalement blanc mais toujours gris. La matière grise que Villeneuve donne à Sicario est bienvenue et donne une vraie profondeur à ce qu'il ne faut pas confondre avec un simple film de vengeance justifiée par le trafic de drogue. Même si en sortant de la salle...on pourrait rapidement prendre Sicario pour ce genre de film. Sicario va bien plus loin. Il remet en question les limites de la légalité et de la loi quand il s'agit d'affronter des individus sans foi ni lois.


Benicio Del Toro trouve un rôle sur-mesure, c'est toujours un immense plaisir de le retrouver à l'écran. Il est parfait de bout en bout. Difficile même de la qualifier cette prestation, tellement elle est charismatique. Il habite l'écran de son regard, de son souffle et de sa parole. Tout comme Josh Brolin à la fois détestable et admirable par sa volonté de détruire le "mal" par le "mal". Malgré ce côté très cliché de l'américain, sans limites, au chewing-gum parlant et se foutant de tout à part de son affaire.
Au final, ce qui m'a profondément gêné dans Sicario, c'est bien Emily Blunt...pourtant j'aime Emily Blunt, ce n'est pas elle qui me gêne, mais bien son personnage qui représente tout ce que je déteste. Typiquement le genre de personnage toujours hésitant, jamais à sa place, qui pleurniche d'un côté et va foutre un coup de poing de l'autre. Ce genre de personnage complexe autant que superficiel, faussement trituré par sa place dans cette mission. Je comprend ce que Denis Villeneuve à voulu faire avec ce personnage, mais cela n'a absolument pas fonctionné avec moi.


Finalement Sicario est pétri de bonnes intentions et de qualités mais malgré tout ses points forts il manque quelques "trucs" pouvant faire de Sicario un très bon film. Car malgré la carte postale visuelle (pas vraiment celle qu'on enverrait certes) que Villeneuve propose (les plans avec l'ombre de l'avion, le coucher de soleil avec le groupe d'intervention avançant, c'est magnifique !), son film manque d'ingrédients pour passer un cap. Je ne sais pas lesquels. Je sais seulement que Sicario aurait du être plus que cela car Villeneuve se devait d'en faire plus. C'est la tâche que l'on donne à ceux qui ont du talent, Villeneuve en fait partie.


Je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec Zero Dark Thirty, les similitudes sont présentes malgré le fossé entre les sujets. D'une construction en entonnoir intelligente, d'une scène d'assaut reprenant quelques artifices, les deux films ne sont pas si éloignés que cela. Les deux sont après tout une traque, une vengeance dépassant toute notion de légalité et de droit voir même d'humanité. (le sujet de ZDT est certes plus "polémique", d'où sa note plus faible).


Évidemment qu'il ne faut pas rater Sicario, évidemment que son histoire est d'une intelligence remarquable et que sa réalisation est millimétrée tout du long, mais Denis, tu le sais, on en attend encore plus d'un gars comme toi.

Halifax

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68
7

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