Voir Nolan quitter son registre de prédilection depuis presque 15 ans, à savoir le blockbuster SF ou du super-héros, ne pouvait être qu’une bonne nouvelle : un écrin épuré pour une affirmation plus réfléchie de ses talents de cinéaste, en somme.
Et c’est, paradoxalement, toute la limite de son nouveau projet. Film de guerre, ou du moins annoncé comme tel, Dunkerque ne pouvait se restreindre à la simple ampleur d’une reconstitution de grande classe. Certes, nous aurons l’héroïsme généreusement distribué sur plusieurs catégories de personnages, des civils aux militaires, des troufions de base aux généraux, nous aurons l’acclamation des foules en liesse, les plans d’ensemble donnant à voir la grandeur d’une bataille et la violence des combats.
Mais, peut-être parce qu’il traite d’une déroute, celle de 1940, Nolan change les règles du jeu, et surtout du regard. C’est évidemment tout à son honneur.
Le récit suit ainsi un dispositif savant, énoncé de façon ostentatoire dès ses premières minutes : trois récits vont s’alterner (La jetée / La mer / Les airs), simultanés, mais distribués sur une temporalité différente : une semaine/une journée/une heure.
On reconnait là le plaisir narratif et le jeu des échos permis par un montage savant qui faisait tout le sel d’Inception et les complexités émotionnelles d’Interstellar : la durée fluctue selon les personnages, et le point de vue d’un même événement diffère en fonction du protagoniste et de la temporalité dans laquelle il est engagé.
La terre, l’eau, les airs : ne manque, bien entendu, que le feu du combat qui s’invitera dans chacun des éléments, voire les fera converger.
Sur le papier, tout cela est aussi ingénieux qu’ambitieux, d’autant qu’on sait Nolan particulièrement à l’aise lorsqu’il s’agit de faire montre de virtuosité. La photo est très belle (sur une mer du Nord un brin caribéenne dans son turquoise, mais passons), le recours à la CGI limité ou discret (et c’est indéniablement à saluer), et, première en ce qui me concerne, l’Imax assez impressionnant.
Reste à savoir ce que l’on nous raconte. Alors que Nolan avait jusqu’ici été débordé par ses ambitions narratives, la simplicité du propos est ici un nouveau piège : il ne s’agit ni plus ni moins que de d’embarquer et de revenir au bercail.
L’immobile Kenneth Branagh, sur sa jetée, attendant et saluant l’héroïsme de chacun, est la triste figure de Nolan face à son œuvre : un peu pétrifié, incapable de donner de l’épaisseur à sa machinerie bien huilée. En résulte un nombre incalculable de répétitions, de bateaux qui coulent, d’avions qui se mitraillent, d’allées et venues au gré d’une marée qui enlise le tout.
Et, toujours, cette odieuse musique de Zimmer à qui l’on a dit, puisque ça avait visiblement plu pour Interstellar, d’être présent constamment, de surligner les bombardements par ses propres basses (absolument assourdissantes au Pathé Quai d’Ivry, propre à déchainer des nausées ou des accouchements), et de ponctuer le reste des séquences de cette rythmique en forme de petites virgules chronométrées avant d’énooooormes crescendos à même de vous expliquer que le danger s’accroît, merci, nous l’avions constaté par les images déjà bien explicites sur la question.
On tente bien de nous dessiner quelques destinées individuelles : Hardy, qui ne quitte pour ainsi dire pas son cockpit, nous fait un remake aérien de Locke, un pauvre gosse dont la destinée grotesque lui permet de finir dans le journal, un couard traumatisé et deux-trois bidasses échappant régulièrement à divers types de noyade sans qu’on s’en émeuve vraiment.
Car Dunkerque n’est en définitive pas un film de guerre, mais un survival ; un genre qui semble inspirer les cinéastes en vogue, désireux de se la raconter, du Cuarón de Gravity à l’Iñárritu de The Revenant. Un film étouffant, qui ne quitte un récit oppressant que pour nous en faire retrouver un autre plus éprouvant encore, et fait de ses scènes d’action la seule finalité.
D’où cette étrange aporie : à partir d’un voyage dans le temps du passé et la temporalité des récits, d’un investissement sur les flots, dans les airs et sur une plage infinie, Nolan fait un film prison, dans lequel la frustrante sensation d’enfermement est la seule émotion possible.
4.5/10)