Soyons brefs, directs, concis : All is Lost était sans aucun doute un des meilleurs films en compétition lors la 39ème édition du festival de Deauville. Un propos somme toute relatif dans la mesure où cette sélection était dans l’ensemble assez médiocre. Rectifions donc le tir : All is Lost se profile comme un des meilleurs films de l’année. Second long-métrage du très prometteur J.C. Chandor, réalisateur de Margin Call, un intéressant thriller économique écrit et tourné avec une grande précision, All is Lost est littéralement l’opposé de ce dernier : à un casting all-stars s’oppose un seul acteur, à un film assez bavard s’oppose un film relativement « muet » (mais pas complètement), à plusieurs locations de tournage s’oppose une unité de « lieu » : l’océan. Chandor a donc plus d’une corde à son arc.

All is Lost met en scène ce vieux bonhomme que nous ne connaissons pas (IMDB a la justesse de le nommer « our man ») interprété par Robert Redford qui vient en quelque sorte se perdre en pleine mer. La première impression est celle d’un personnage en plein ras-le-bol ayant décidé de prendre un peu de temps à bord de son voilier, tel un marin du dimanche. Çà et là sont dispersés quelques éléments caractérisant le personnage, mais c’est très discret et à part quelques indices, on ne sait que finalement très peu de choses sur son passé. L’essentiel, c’est le présent. Tant mieux, par ailleurs. Nous pourrions donc aussi partir du postulat que cet homme, finalement, c’est un peu monsieur tout-le-monde.

Cette année, dans l’espace trônera Gravity et sur les mers dominera All is Lost. D’une certaine manière, le film de Chandor est un huis-clos se déroulant sur ce magnifique fond. Le vieil homme et la mer, dirons-nous. All is Lost s’apparente à une métaphore biblique, « j’étais perdu, mais maintenant j’ai été retrouvé ». Le métrage met donc en scène une certaine poésie, une grandeur aux allures parfois panthéiste qui se ressent à tous les niveaux. La mise en scène oscille entre un film « catastrophe » intimiste et un film sur le voyage spirituel. Un certain sentiment Malickien n’est par ailleurs jamais loin. En écho, la (remarquable) bande-son du film s’inscrit d’ailleurs complètement dans cette optique. Alex Ebert compose une partition belle, noble, et insuffle une grandeur totale à l’environnement du film mais évoque aussi l’aspect effrayant que peu avoir l’océan, le grand bleu. A noter une sublime chanson finale composée pour le film et intitulée « Amen » (comme quoi…) qui ne manque pas d’évoquer l’influence de David Bowie.

Constamment dans le juste, sans overdose d’artifices (les trucages numériques demeurent convaincants et ne sont pas tape-à-l’œil), la réalisation de Chandor est probablement une des meilleures manufacturée cette année. L’aisance avec laquelle le film navigue entre plusieurs styles différents met bien en valeur les différents niveaux d’influences et de compréhensions du scénario (car derrière cette réalisation se cache un scénario maitrisé avec talent, n’oublions que le scénario demeure l’écriture de la mise en scène !). Les séquences de tempête sont impressionnantes et le dispositif mis en place par Chandor fonctionne à souhait : on se cramponne à son fauteuil tout en revivant, l’espace de quelques microsecondes, nos pires expériences maritimes. On ne sait que dire ou que faire devant l’impuissance parfaitement logique du personnage de Redford, cet homme commettant de nombreuses maladresses auxquelles nous-même n’aurions pas coupé. Tout cela nous fait nous diriger vers quelque chose que nous pensons redouter, ce fameux « tout est perdu » qu’évoque le titre. Sans vous lâcher le morceau (encore heureux !), Chandor a l’intelligence de proposer quelque chose de génial dans son final, et surtout quelque chose de parfaitement cohérent à ses thèmes.

Et puis oui, forcément, il y a Redford. Chapeau bas car il y a fort à parier qu’All is Lost est loin d’être un rôle aisé pour le bonhomme dans la mesure où Chandor malmène tout de même son personnage. On sent continuellement le côté « physique » dans All is Lost, qui ne fait d’ailleurs pas l’impasse sur l’âge de son acteur principal. Qu’il parait lointain ce sentiment de jouvence aux côtés de Paul Newman ! Néanmoins, Redford est naturel dans ses agissements et aligne parfaitement son jeu sur ce personnage dont on ne sait rien. Tantôt on aime ce vieux bonhomme pour son calme, tantôt on a juste pitié de lui, de sa bêtise tellement humaine.

All is Lost est sans aucun doute un film à ne pas rater en 2013. Maitrisée de bout en bout à tous les niveaux, cette odyssée maritime malheureuse orchestrée par le désormais confirmé J.C. Chandor invite son spectateur à vivre un moment de cinéma total, lorsque tous les artifices sont maitrisés avec sagesse et intelligence. Résultat des courses : derrière ces moments de stress en pleine tempête (un coucou pour Wolfgang au passage), c’est beau, juste beau.

Créée

le 24 sept. 2013

Modifiée

le 11 oct. 2013

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Lt Schaffer

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