Ma fille s'appelle Monique
La vision de ce film est moins en soi un événement pour moi que l'occasion de rencontrer enfin le mystérieux Djaevel, à l'origine du choix de la séance (je vous laisse le soin de le juger comme il se doit après avoir lu cette critique). Donc voilà, après quelques biscuits apéro et une bière qui passe bien, nous filons au Comoedia voir le 6e (!) long-métrage de Fabrice du Welz, réalisateur belge apparemment connu pour l'infâme (du moins des échos que j'en ai eus) Vinyan. Je débarque dans la salle avec le minimum d'infos sur le film, je sais juste que c'est vendu comme un film d'horreur assez déviant et que c'est -16 ans.
Très vite, on comprend que ça va être casse-gueule. Formellement, je n'ai à peu près rien à redire, le 16mm ne me dérange pas outre mesure et permet pour quelques scènes d'obtenir une image palpitante à la texture intéressante. Certains plans (et l'ambiance générale) font ainsi penser au "Sombre" de Grandrieux. Par moments, il y a un bel affolement de l'image et du rythme, à la limite de la transe, qui est du plus bel effet, mais malheureusement on bascule bien trop souvent dans l'hystérie la plus ridicule, à la limite du grand guignol.
C'est là un des problèmes majeurs de ce film : le ton. Le sujet glauque au possible (un couple de détraqués qui tue des femmes seules pour leur argent après que l'homme les a séduites) ne permet pas beaucoup de souplesse dans le traitement : soit on opte pour une outrance démesurée, grotesque, farcesque, sous le double auspice de Buñuel (auquel on pense parfois, fétichisme oblige) et de Scola (période Affreux Sales et Méchants), soit on reste dans un film glacial et glaçant. Mais sauter à cloche pieds d'un côté et de l'autre de la limite est une mauvaise idée. Le film fait parfois rire à mauvais escient, souvent irrite ou dérange, jamais ne fonctionne. Les références nombreuses sont plus parasitaires que salutaires en ce que le film n'en fait rien de neuf ou d'intéressant. Il y a du fétichisme des pieds (forcené), oui, mais ça se limite à deux scènes dont une assez intéressante mais qui ne sert en rien le propos à part pour rajouter de la bizarrerie et du trash. La question de la foi est effleurée et évacuée sans qu'on ne sache pourquoi. Le "mommy issue" aussi. La gamine est oublié en deux plans trois mouvements mais pourtant la fin du film repose sur son absence, de manière absolument incohérente. Et la liste est longue. Le problème étant, plus que la mise en scène (qui si elle est parfois excessive, cherche au moins une dimension cinématographique et spectaculaire et parvient à faire sens à quelques reprises), le scénario qui ne tient pas debout et part dans tous les sens. On ne croit jamais à la situation de départ telle qu'elle est exposée. Des histoires d'amour détraquées et criminelles, il y en a, mais ce qui fait la force de récits comme "Gun Crazy" ou "Bonnie and Clyde", c'est la dimension tragique, mythique à laquelle accèdent leurs anti-héros. Ici, comme on ne croit pas à la force de leur lien (trop bizarre, mal amené), on ne peut aimer ces deux tordus et donc on se désintéresse totalement de leur odyssée sanguinaire et par trop hystérique.
C'est dommage, car les deux interprètes sont plutôt bons, Laurent Lucas en tête. Lola Dueñas quant à elle est excellente tant qu'elle ne verse pas dans l'hystérie la plus totale où elle finit par agacer profondément. Outre cela, on se dit qu'il aurait fallu que le film exploite de manière plus fouillée le déséquilibre dans la folie qui unit ces deux êtres. Au début de l'acte 1, la mise en scène parvient en quelques plans à faire comprendre que Michel est dangereux. Quand on réalise un peu plus tard que c’est en fait Gloria la plus folle des deux, on touche la grande idée de ce récit. Celle d'un marginal qui se retrouve emprisonné dans une relation destructrice et meurtrière avec une psychopathe. Mais au lieu d'en tirer un grand thriller ou une comédie vitriolée, le film persiste dans l'entre-deux voies et enchaîne les actes avec morgue et de moins en moins de conviction. Ne subsistent alors que quelques scènes chocs ou gores pour réveiller le spectateur. Pareil pour l'idée de "don" qu'a Michel de donner du plaisir, qui aurait pu être une idée intéressante mais qui partait déjà mal avec cette histoire d'inceste malvenue, et dont le film ne parvient à tirer que des scènes provoc' et glauques mais sans grands enjeux à part éveiller la jalousie meurtrière de Gloria. Tout cela manque de fond ou de mordant, mais je ne vois que deux pantins s'agiter tristement dans tous les sens sur une image granuleuse.
Quand ce fou de Ben Wheatley organise son jeu de massacre dans Touristes, il garde un humour hors normes qui sauve le film du catalogue de sévices sadiques. Quand le même fait quelques temps avant "Kill List", il dérègle progressivement un récit à priori bien huilé pour l'amener dans le chaos et le grand n'importe quoi "organisé", et cela fonctionne. Fabrice du Welz cède bien trop vite à son envie de faire à tout prix dérailler son histoire dans la folie et la démesure, mais pour le spectateur c'est comme suivre en trottinette un train fou qu'on aurait raté.
Dernière chose, puisque je suis allé chercher des infos pour écrire cette critique. Pendant le film j'énumérais les références auxquelles je pensais : "Amer" de Cattet/Forzani (pour une séquence en particulier, ou les nombreux plans sur les yeux), le cinéma de Maury / Bustillo (pour sa confrontation avec des tabous sociétaux et l'horreur gore), Grandrieux avec "Sombre", Ben Wheatley donc, mais aussi un film que je n'ai pas vu mais possède pourtant (et depuis des années !), le sulfureux "The Honeymoon Kilers". Tout ce que je sais de ce film américain des années 60-70, c'est qu'il est d'une monstruosité pour son époque qui en fait un film culte, dérangé et dérangeant. Et qu'il raconte l'histoire de l'association entre deux êtres monstrueux (et amoureux ?) dont l'homme séduit et la femme tue des dames solitaires pour leur argent. Donc forcément, à partir du début de l'acte 2 de ce "Alléluia", j'ai commencé à me demander si ce n'était pas un remake plus ou moins avoué de ce film (que je n'ai pourtant pas vu). J'en ai même fait part à Djaevel en sortant, qui ne semblait pas connaître. Et peu avant la fin du film, je riais intérieurement en me disant que le pompon serait un écriteau "tiré d'une histoire vraie" à la fin.
Quand ce pompon est effectivement arrivé, nous rîmes certes, mais je n'ai réalisé qu'en rentrant que ce fait divers particulièrement sordide était en réalité le même que celui qui avait donc inspiré "The Honeymoon Killers". Comme quoi. A part ça, le film de du Melz est semble-t-il le second volet d'une trilogie horrifique des Ardennes, après Calvaire et toujours avec Laurent Lucas. Les intentions sont sans doute louables, et d'ordinaire j'aime beaucoup ce genre de films (toutes les références que je cite sont des films que j'aime beaucoup ou que je respecte énormément ou que j'ai très très envie de voir en entier), mais pour le coup je trouve son film complètement raté. Foutraque, dérangé, mais finalement pas si dérangeant.
PS : et la gamine s'appelle Monique quoi, c'est sans doute la Monique la plus jeune du monde.