Attention spoilers (j'ai essayé de faire au mieux mais je ne conseille quand-même pas de lire si vous ne voulez vraiment pas de spoilers)


Amal est un film coup de poing, un film militant. C’est l’histoire d’une lutte à mort entre la laïcité (incarnée par la protagoniste, Amal) et l’islam salafiste (dont l’antagoniste principal du récit, Nabil, est le porte-voix). Entre ces deux pôles, trois jeunes personnages doivent se positionner, et chacun va faire des choix qui auront un impact profond sur la poursuite du récit. Mounia choisit la liberté et l’affirmation de soi, ce qui lui vaut d’être confrontée à un déferlement de haine sur les réseaux sociaux.

Elle fait une tentative de suicide, à laquelle elle survit heureusement.

Rachid vit un intense conflit intérieur tout au long du film, entre sa fidélité à sa famille, l’amour qu’il porte à son petit frère qu’il veut protéger, et à sa mère, partie du foyer pour échapper à un mari rigoriste et impitoyable.

C’est par lui que vient la partie positive du dénouement, car il parvient à exposer le double jeu du professeur de religion islamique, Nabil.

Jalila, enfin, reste campée tout au long du film sur un radicalisme

qui la pousse à commettre l’irréparable en assassinant sa propre prof.

Film à la dramaturgie parfaitement exécutée, Amal tient le spectateur en haleine grâce à un rythme soutenu et à une trame narrative focalisée sur l’héroïne, sans digressions ou détours intempestifs. Les enjeux sont clairs d’entrée de jeu, et tous les jalons classiques du récit sont présents (situation initiale, élément déclencheur, péripéties et obstacles, point de rupture, dénouement). Les scènes remplissent toutes une fonction précise dans le développement de l’intrigue et sont servies par des dialogues excellents et par un ensemble d’acteurs tous talentueux et habités par leur personnage, notamment Lubna Azabal qui incarne avec passion une héroïne qui semble avoir été écrite pour elle, et Fabrizio Rongione, qui campe un Nabil terrifiant dans son rôle de prosélyte récemment converti.

Le film se veut un cri d’alarme, un appel à la vigilance face à une problématique – la pensée islamiste extrémiste – qui touche les écoles. Il explore cela en long et en large, mais fait le choix de le faire avec des figures assez lisses. En effet, la principale faiblesse du film réside dans le fait que la protagoniste comme l’antagoniste sont comme des blocs monolithiques inflexibles et immuables, dont la collision produit certes des étincelles, mais ne laisse entrevoir aucun espoir et ne permet pas de déceler derrière leurs postures une trace de leur humanité.

Amal est indéniablement une femme admirable, qui croit en ses principes, qui se bat. Mais au final, elle est tout aussi inflexible que Nabil, c’est un bulldozer, un taureau enragé qu’attend un destin tragique. La non-évolution d’Amal correspond à un arc narratif plat : il concerne “les personnages déjà formés, complets, et n’ayant que peu de problèmes internes (…). Ce principe est utilisé dans les récits mettant en scène un personnage en butte à des problèmes extérieurs nécessitant des qualités physiques ou mentales comme l’intelligence ou une très bonne connaissance d’un domaine. S’il n’y a chez eux que peu ou pas du tout de changement, ils peuvent en revanche provoquer des changements chez les autres personnages.” (Olivier Cotte, Créer des personnages de films et de séries, pp.148-149). Elle parvient donc à influencer Mounia et Rachid dans leur quête de liberté et d’émancipation, tandis que Jalila reste hermétique à ses idées.

Jalila et Nabil sont des Méchants avec un grand M, sans profondeur psychologique, et sans autre motivation que leur fanatisme.

A peine apprend-on au sujet de Nabil que sa conversion à un islam radical date d’un voyage en Egypte il y a trois ans, et qu’il s’appelait auparavant Thibault.

Mais cette information, pourtant cruciale et fascinante, arrive vers la fin, et n’a finalement que peu d’impact sur le récit.

Jalila, elle, ne bénéficie d’aucun moment qui nous permettrait de comprendre ses motivations. Jalila se débat manifestement avec son identité, notamment de genre : elle parle du “dieu de la mode” pendant la leçon de religion islamique, elle s’habille comme un mec, elle a une obsession curieuse avec l’homosexualité de sa camarade de classe. A aucun moment, ceci dit, le film ne nous donne l’opportunité d’explorer ces indices par des scènes centrées sur elle. Jalila aurait été un personnage plus intéressant si son extrémisme et son radicalisme avaient été éclairés par d’autres aspects de sa personnalité. Qui est-elle ? Au final, on ne le sait pas.

Du coup, son acte final, terrible et catastrophique, vient de nulle part et ne parvient qu’à nous choquer, sans nous permettre de comprendre.

C’est au final la chose la plus regrettable à propos de ce film au demeurant salutaire dans sa dénonciation de la banalité du mal. Le message du film

, du coup, étant donné qu’Amal est assassinée, est ambigu…

Est-ce : “Si vous vous battez contre les fondamentalistes, vous allez crever.” What the fuck? Je pense que c’est l’inverse de l’intention du réalisateur et contre-productif. C’est un film sans espoir.

La fin trahit que le film a été fait pour un public convaincu, qui va simplement être conforté dans son opinion, qui caresse les convaincus dans le sens du poil, et qui ne va pas toucher ceux à qui il prétend s’adresser. Des Jalila, je suis sûr qu’il y en a sur les bancs des écoles bruxelloises, mais ces Jalila sont des personnes, elles ont une vie, une expérience, une individualité et personnalité propre, qui les a menées sur ce chemin. Comment rendre son humanité à une personne aussi haineuse ? Voilà une question passionnante, pleine d’espoir, et qui aurait mérité un peu plus d’attention pour ce personnage.

OgisCaral
6
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le 10 août 2024

Critique lue 17 fois

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