J’entends déjà certains hurler : “ignoble film de propagande !” Et, effectivement, c’en est bien un. Mais, franchement, était-il possible de faire un film en 1938, à l’apogée du pouvoir stalinien, au moment des grands procès de Moscou et des rafles d’Ejov, sans y mettre de la propagande ?
Ici, on pourrait éventuellement trouver une sombre ironie dans certains propos et certaines situations. Lorsque l’un des personnages, Egor, affirme que les paysans ne peuvent pas vivre sans la terre, alors qu’en même temps la collectivisation forcée des terres prive, justement, les paysans de ce lien (et d’une façon ô combien douloureuse !), ça fait un peu grincer des dents.
Le film est cependant très intéressant sur plus d’un titre. D’abord parce qu’il s’inscrit dans la thématique des nationalités, une des plus intéressantes dans l’histoire russe et soviétique. Schématiquement, le film présente l’époque tsariste comme une période où les différentes ethnies qui peuplent l’empire russe sont maltraitées (ce qui n’est pas faux, loin de là). Lorsque le gouverneur arrive et parle aux Kazakhs, il les infantilise totalement. La réaction d’Amangueldy est caractéristique : “ils nous ont pris nos terres, mais ils nous demandent quand même de nous battre pour les protéger ; ils nous ont pris notre bétail, mais ils nous demandent quand même de nous battre pour le défendre…”. Les Kazakhs, comme bien d’autres peuples, sont montrés comme étant dépossédés de leurs biens et de leur culture. Et la lutte bolchévique va permettre de libérer ces populations opprimées par le régime tsariste.
Oui, je sais, vu de 1938, ça pourrait faire rire. Mais la politique des “nationalités” a constitué un des débats les plus passionnants des années de construction de l’URSS. L’un des dilemmes pourrait être formulé ainsi : le communisme est anti-impérialiste et veut libérer les peuples, alors que faire avec ces populations si différentes ? Sera-t-il possible de leur donner leur indépendance sans créer une force centrifuge qui fera exploser le pays ?
Il reste un peu de tout cela dans ce film, présenté comme fondateur du cinéma du Kazakhstan. Le communisme est montré comme une force libératrice.
Et, sur certains aspects, Amangeldy prend la forme d’une épopée fondatrice. Même si les faits sont authentiques (sans préjuger de la véracité de chaque détail, évidemment), il y a là quelque chose qui dépasse le seul cadre du film historique. C’est la naissance d’une nation.
Au niveau plus technique, le film reste assez primaire. Depuis que Staline a jugé que les recherches techniques et esthétiques constituent du formalisme et sont donc condamnables car elles éloignent de la vérité, il ne faut plus s’attendre à des révolutions du montage ou des cadrages comme on en avait 10 ans plus tôt. Ici donc, la technique est simple et cherche l’efficacité. Le récit est elliptique et enchaîne les épisodes significatifs en éliminant tout ce qu’il juge inutile. Cependant, le film sait se garder des scènes quasiment ethnographiques.
L’ensemble se voit d’abord comme une curiosité, mais aussi avec un certain intérêt pour ceux qui aiment se pencher sur le 7ème art soviétique.