Crâne d’œuf
Le plus réussi, dans America Latina, c'est son affiche, un crâne d’œuf fissuré qui représente parfaitement le fonctionnement bizarre de la tête du héros du film des frères d'Innocenzo, un simple...
le 21 août 2022
2 j'aime
2
Depuis les frères Lumière jusqu’aux frères Coen, en passant par les frères Taviani et les frères Dardenne, les duos de réalisateurs fraternels sont assez nombreux dans le cinéma mondial. Il est à remarquer que leur pendant féminin n’a pas encore pointé le bout de son nez, en tout cas pas en accédant à une reconnaissance internationale. Les duos de jumeaux sont plus rares, même si les frères Tarzan et Arab Nasser comptent déjà un certain nombre de réalisations à leur actif. Il semblerait que les thématiques du double et de la famille (et de l’ « innocence » ou de la culpabilité !…) travaillent plus explicitement la filmographie des jumeaux Damiano et Fabio D’Innocenzi, nés à Rome le 14 juillet 1988, puisque leur premier long-métrage, « Frères de sang » (2018), imaginait une amitié masculine se faisant fraternelle dans le meurtre et le sang, et que le deuxième, « Storia di vacanze » (2020), met en scène une famille de plus en plus dysfonctionnelle à l’occasion d’un temps de vacances.
« America Latina », qui doit son titre à la province d’Italie, la Latina, dans laquelle l’action s’inscrit, donne à voir un dentiste, Massimo Sisti (campé de façon convaincante par Elio Germano, qui incarnait déjà le père dans le deuxième long-métrage des frères D’Innocenzo), à qui tout semble sourire, que ce soit sur le plan professionnel ou privé : son cabinet, doté de deux assistantes, tourne bien, Massimo possède une belle villa à l’américaine, dans laquelle il abrite sa superbe femme, Alessandra (Astrid Casali), et ses deux filles magnifiques, Laura (Carlotta Gamba) et Ilenia (Federica Pala). Régulièrement, il retrouve son ami très proche, Simone (Maurizio Lastrico), presque son double, tant ils se ressemblent et tant ils semblent ne pas avoir de secret l’un pour l’autre. Ensemble, ils parlent, de façon presque intarissable, et l’alcool accompagne souvent ce flot de confidences. Mais cet équilibre, dans lequel le filmage s’attachait d’emblée à nous faire percevoir de discrètes lézardes, vole en éclats, lorsque Massimo découvre, ligotée dans sa cave, une jeune fille (Sara Ciocca), aussi terrifiée qu’affaiblie. Que s’est-il passé ? Qu’a pu faire, ou subir, Massimo ? Après le soupçon se tournant en premier lieu vers Simone, c’est sa propre psyché que Massimo se met à questionner. Jusqu’où peut-on être double, perdre le contrôle de soi-même ?… On le sait depuis la psychanalyse : la cave, comme le grenier, sont des espaces domestiques aptes à métaphoriser l’inconscient…
Le scénario, également élaboré par les deux frères, n’est pas sans reproche, questionnant exclusivement la figure du père de Massimo et écartant absolument la mère, alors que l’on peut légitimement s’interroger sur cette instance, compte tenu du traitement par ailleurs réservé au féminin… Il n’empêche : le jeu très habité d’Elio Germano, le duo mystérieux avec l’ami, le rôle joué par l’eau, qui lave, entretient la vie mais peut aussi la menacer, l’image très soignée, mais aussi très créative, de Paolo Carnera, avec Adrea Grossi en chef opérateur, le travail sur les sons effectué par Maricetta Lombardo, la musique, subtile, du groupe Verdena, tout concourt à envoûter le spectateur et l’amène à consentir à s’embarquer sur cette barque de la folie, l’image de la nef étant vite présente dans le film, à travers la piscine en forme de barque, ou d’œil stylisé, qui se dessine au pied de la maison.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Films où il est question de la paternité, frontalement ou latéralement. et Films dans lesquels l'eau joue le rôle d'un protagoniste
Créée
le 7 juin 2022
Critique lue 2K fois
8 j'aime
8 commentaires
D'autres avis sur America Latina
Le plus réussi, dans America Latina, c'est son affiche, un crâne d’œuf fissuré qui représente parfaitement le fonctionnement bizarre de la tête du héros du film des frères d'Innocenzo, un simple...
le 21 août 2022
2 j'aime
2
Massimo est un dentiste aisé avec sa famille. Mais, un jour, il découvre une jeune fille enfermée dans sa cave... Il ne l'a connaît pas, ne comprend pas pourquoi elle y est enfermée, mais décide de...
Par
le 16 août 2023
1 j'aime
Les cinéphiles sont des gens bizarres. On décide d’aller voir Rashōmon, le chef d’œuvre d’Akira Kurosawa pour enfin savoir ce qu’est un film-aux-multiples-points-de-vue-et-narrateurs-peu-fiables, et...
Par
le 26 août 2022
1 j'aime
Du même critique
Le rêve inaugural dit tout, présentant le dormeur, Pierre (Swan Arlaud), s'éveillant dans le même espace, mi-étable, mi-chambre, que ses vaches, puis peinant à se frayer un passage entre leurs flancs...
le 17 août 2017
80 j'aime
33
Sarah Suco est folle ! C’est du moins ce que l’on pourrait croire lorsque l’on voit la jeune femme débouler dans la salle, à la fin de la projection de son premier long-métrage, les lumières encore...
le 14 nov. 2019
75 j'aime
21
Marx a du moins gagné sur un point : toutes les foules, qu’elles se considèrent ou non comme marxistes, s’entendent à regarder le travail comme une « aliénation ». Les nazis ont achevé de favoriser...
le 26 août 2019
71 j'aime
3